Nos virus d’antan

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Claude
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Nos virus d’antan

Message par Claude » 23 mars 2020, 16:31

En 1957, j’ai eu la grippe asiatique, une épidémie terrible qui avait frappé la France
et bien d’autres pays.
Mais je fus épargné, me semble-t-il, 10 ans plus tard, par la grippe de Hong Kong. Et vous ?
.
L’equipe de Check News a enquêté suite à une demande sur :roll: cette pandémie de 1957.
.


]Une «grippe asiatique» avait-elle vraiment fait 100 000 morts
en France en 1957-1958 ?


Question posée par Sophie le 15/03/2020
Enquête. Vincent Coquaz 22 mars 2020 à 08:47


Bonjour,

Votre question fait référence aux propos, dimanche dernier sur BFMTV, d’un médecin généraliste sur la pandémie de Covid-19.

«On a déjà vécu des situations sanitaires de même ordre. La grippe asiatique, dont on parle très peu, a fait 100 000 morts en France, sur une année ou sur deux hivers, 57 et 58 de mémoire. Simplement, à l’époque, on n’avait pas les chaînes d’info en continu et une économie mondialisée. Notre privilège aujourd’hui est de savoir que [l’épidémie] va se développer et de faire tout ce qui est en notre possible pour qu’il n’y ait pas autant de morts», a ainsi déclaré le docteur Richard Handschuh. Contacté par CheckNews, il dit avoir lu ce chiffre notamment dans la presse, et garde des souvenirs d’enfance très «vifs» du virus et du fait que ses proches «en ont parlé pendant des années».


Juin 1957 : l’épidémie ne justifie «pas d’inquiétude particulière»

CheckNews s'est plongé dans les articles de presse de l’époque, qui permettent de faire un parallèle étonnant entre cette épidémie et la diffusion du Covid-19. Les archives du Monde, notamment, montrent que le gouvernement estimait dans les premières semaines de l’épidémie, et alors qu’elle n’avait pas encore touché la France, qu’elle «ne justifiait pas d’inquiétude particulière» (17 juin 1957). Une citation qui n’est pas sans rappeler celle d’Agnès Buzyn, qui déclarait le 20 janvier que «les risques de propagation du coronavirus sont très faibles» (tout en précisant que la situation pouvait évoluer).



Juillet 1957, moins de deux semaines après les déclarations rassurantes des autorités françaises, le virus touche pourtant un autre grand pays que la Chine et se rapproche de l’Europe : comme pour le Covid-19, l’Iran a été touché rapidement par la grippe asiatique.

Fin août, le virus atteint l’Europe : «La grippe asiatique menace à présent toute l’Italie», titre alors le Monde. Mi-septembre, le quotidien mentionne «des cas isolés [qui] apparaissent en France»… et qui touchent surtout le Grand Est, qui est aujourd’hui aussi l’une des régions les plus touchées par le nouveau coronavirus.

Un mois plus tard, le Journal du dimanche s’alarme : «Un Français sur cinq a la grippe. Les hôpitaux sont submergés. Les médecins doivent travailler jour et nuit.» Avec une différence majeure avec la pandémie actuelle : à l’époque, «la majorité des victimes sont des adolescents».

Le 10 octobre, le Monde aussi s’émeut brusquement d’une «pénurie de médicaments propres à combattre la "grippe asiatique"», qui soulève «les vives protestations des patients».

«Attendre tout bonnement que cela passe»

Le traitement médiatique et des autorités sanitaires françaises étaient jusque-là particulièrement «légers». Quelques jours avant que l’Italie ne soit concernée, le Monde ironisait ainsi sur ce «mauvais coup des rouges» (en référence à la Chine communiste) fait aux Américains, présentés comme bien alarmistes face à une simple grippe : «Trois cas mortels seulement ont été enregistrés [aux Etats-Unis]. Néanmoins, les services de la santé publique ont décidé de passer à la contre-offensive, pour la plus grande satisfaction des grands laboratoires, qui travaillent jour et nuit à satisfaire une demande énorme et croissante. […] Il n’en fallait pas plus cependant pour jeter l’alarme dans la population, inquiète, mais un peu flattée aussi, du caractère oriental du virus. Ayez la grippe comme tout le monde, vous n’intéresserez personne. Mais une grippe asiatique, c’est plus mystérieux…» Alors que le virus était en train de tuer plus de 100 000 Américains, le quotidien estimait qu’ils feraient mieux d’«attendre tout bonnement que cela passe», mais que la grippe asiatique ferait «tout de même quelques heureux parmi les employés des grands laboratoires et les docteurs».



«A l’époque, les autorités ont minimisé la gravité, explique aujourd’hui Patrice Bourdelais. Mais assez vite, l’industrie a ralenti à cause du nombre de malades, et une grande partie du personnel de la SNCF était grippée par exemple. Un conseiller municipal de Paris, médecin, a demandé le report de la rentrée des classes à l’automne, ce qui n’a pas été mis en place. Ensuite, ça s’est emballé dans la deuxième moitié du mois d’octobre.»

Comment expliquer ce décalage entre la gravité des chiffres, notamment au niveau mondial, et cette réaction ? «Le milieu de la santé était alors très sûr de lui : avec les antibiotiques, on était persuadé de pouvoir lutter contre les surinfections, et on venait d’isoler le virus responsable de la grippe, pour lequel on avait trouvé un vaccin. Mais ce n’était pas le même virus. Et le dispositif mis en place, notamment de vaccination, a été un échec complet.»

Il relève au passage des différences majeures avec la pandémie actuelle : «La principale, c’est que pour le nouveau coronavirus, en quelques semaines on a pu connaître son génome. A l’époque, ce n’était évidemment pas le cas… Mais il y a une autre différence : en 1957-1958, il a fallu six mois pour atteindre le stade pandémique, contre un mois et demi environ pour le Covid-19.»

100 000 morts ?

Quel a été le nombre de victimes de cette grippe asiatique? Au niveau international, des études récentes de l’OMS concluent que cette épidémie un peu oubliée, causée par la souche H2N2 du virus de la grippe A, a causé directement ou indirectement la mort de 1 à 4 millions de personnes entre 1956 et 1958. Une fourchette très large notamment due au manque de données pour de nombreux pays à l’époque. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies américain (CDC), qui dépendent du département de la Santé, estime de son côté que la pandémie a fait 1,1 million de morts dans le monde, dont 116 000 dans les seuls Etats-Unis.

Autre difficulté concernant les chiffres des épidémies : il faut distinguer les nombres de morts déclarés d’une épidémie (en général des morts causées directement par l’infection) des chiffres reconstitués a posteriori, par extrapolation, en se basant sur la surmortalité.

Quoi qu’il en soit, la grippe asiatique a indéniablement été meurtrière dans le monde. Et en France ? On retrouve le chiffre de 100 000 décès cité par le docteur Richard Handschuh pour l’épidémie de grippe asiatique, notamment dans un article de la Tribune de 2009, mais sans source précise.

Les chiffres publiés dans une revue de l’Ined de l’époque sont bien différents : dans un article publié en 1960, le démographe français Roland Pressat publiait un tableau de la mortalité en France à la fin des années 50. Les statistiques officielles dénombraient alors 11 899 morts imputables à la grippe en 1957. Soit presque quatre fois plus qu’en 1958, année du retour à la normale. Tout en précisant que ces chiffres étaient sous-estimés : «La grippe, dernière grande maladie épidémique meurtrière (dans nos pays), est la cause, certaines années, de quelques dizaines de milliers de décès supplémentaires qui, pour la plupart, ne sont d’ailleurs pas enregistrés sous la rubrique «grippe» mais gonflent certaines autres rubriques (affections respiratoires par exemple).»

Ces morts additionnels permettraient-ils d’arriver à l’estimation de 100 000 morts, qui a selon toute vraisemblance été calculée bien après les faits ? Nous n’avons pas réussi à retrouver l’origine de cette statistique ni à consulter les travaux du grand spécialiste de la question, le professeur honoraire à l’Institut Pasteur Claude Hannoun, en raison du confinement.

Contacté par CheckNews, l’historien et démographe Patrice Bourdelais avait également en tête ce chiffre de 100 000, qu’il a déjà cité, mais se montre très sceptique aujourd’hui : «Il se trouve dans de multiples publications, mais en reprenant les chiffres de décès de ces années-là, les décès du fait de la grippe asiatique ne peuvent être de plus de 25 000, soit la même importance, si l’on tient compte de l’augmentation de la population française qui passe de 43,6 millions en 1956 à 50 millions en 1970, que la grippe de Hongkong [31 000 décès, ndlr]» qui survient dix ans plus tard. «Voilà, la preuve que personne n’a vraiment travaillé sur l’épisode de grippe asiatique et qu’il faut vérifier de près !» s’amuse le spécialiste, qui s’est replongé dans les chiffres à l’occasion de notre question.

Cordialement

Ecoutez le podcast hebdo des coulisses de CheckNews. Cette semaine, on vous raconte justement comment nous avons travaillé la grippe asiatique de 1957

Claude
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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 23 mars 2020, 16:38

Voilà un peu d’histoire ça ne fait pas de mal.

On peut lire aussi l’article « grippe espagnols » de Wikipedia qui a fait des millions de morts en 1918-1919.

Plumix
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Re: Nos virus d’antan

Message par Plumix » 23 mars 2020, 19:03

Mais je fus épargné, me semble-t-il, 10 ans plus tard, par la grippe de Hong Kong. Et vous ?
Moi, en 1988, j'avais grippé mon moteur d'Acadiane en "montant" à Paris :lol:

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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 30 mars 2020, 15:23

Si on tape Acadiane Plumix dans un moteur de recherche, voilà ce qu’on trouve. Hélas Plumix n’est pas au volant.

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Re: Nos virus d’antan

Message par Plumix » 30 mars 2020, 18:31

La mienne n'était pas si élaborée, mais c'était une brave bestiole qui m'a rendu bien des services :)
Acadiane.jpg
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Re: Nos virus d’antan

Message par Marie_May » 02 avr. 2020, 11:33

La mienne n'était même pas si grande et pourtant mon ex avait coupé les montants des sièges si bien que je pouvais dormir dedans. Pour Mio c'était plus compliqué.

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Re: Nos virus d’antan

Message par plumee » 02 avr. 2020, 21:49

Sûr… quand on sait qu'un Mio = deux Marie-May… :D

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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 02 avr. 2020, 22:44

Marc a dégoté une archive sur la peste.
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https://www.jardins-ici-on-seme.fr/view ... 33#p104233

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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 03 avr. 2020, 22:11

Fred VARGAS est une auteure de romans policiers. Sous ce nom de plume
se cache Frédérique AUDOUIN-ROUZEAU, chercheure au CNRS.

Dans cette émission, elle répond à des questions sur la transmission de la peste entre l'animal et l'homme
depuis l'antiquité jusqu'aux Temps modernes.
Une bien belle interview faite alors que la grippe aviaire faisait l’actualité.

https://www.franceculture.fr/emissions/ ... recedent-0

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Fable de La Fontaine : Les animaux malades de la peste.

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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 11 avr. 2020, 23:39

Interview d’un historien, Patrice BOURDELAIS. / Libé.

Patrice Bourdelais: «La compréhension du vivant conduit à penser que l’éradication des maladies infectieuses est impossible»
Par Simon Blin, Recueilli par — 10 avril 2020 à 18:11

De
Pour l’historien, les découvertes des vaccins et des sérums nous ont laissé penser que les épidémies appartenaient à un passé lointain. Si des politiques de santé publique et de contrôle des populations se dessinent au fil des siècles, de la peste noire au coronavirus, il est, selon lui, illusoire de prétendre faire disparaître les nouvelles pathologies virales.



Quelque part dans les monts de Vaucluse, les randonneurs peuvent apprécier une barrière de pierres sèches, autrefois longue de plusieurs kilomètres. L’assemblage de cailloux, irrégulier et souvent bancal, est l’un des derniers vestiges de l’épidémie de 1720. Le «mur de la peste» devait empêcher la circulation des hommes et contrôler la propagation de la maladie. Il s’ajouta aux quarantaines et lazarets. A l’époque, les maisons des morts furent murées. Sans succès, l’épidémie décima la région. Le confinement de la population et la multiplication des dispositifs de surveillance devant la pandémie de Covid-19 s’inscrivent dans une longue histoire des maladies infectieuses, explique l’historien et directeur d’études à l’EHESS Patrice Bourdelais. Selon l’auteur des Epidémies terrassées : une histoire des pays riches (La Martinière, 2003), les Etats européens ont progressivement mis en œuvre une politique de santé publique au cours des siècles, contribuant à faire de l’Europe un continent hors d’atteinte des fléaux sanitaires… en apparence. Car l’éradication de toute menace est illusoire, prévient Patrice Bourdelais.

Pourquoi nos sociétés du progrès n’ont-elles rien vu venir ?

Les experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les épidémiologistes mobilisés sur l’émergence de nouvelles maladies infectieuses ont identifié l’épidémie dès le début de sa propagation, même si la Chine a commencé par dissimuler le phénomène. L’effet de surprise tient au fait que pour nos sociétés modernes, l’épidémie renvoie à un passé lointain. Durant des siècles, les avancées scientifiques successives ont participé à la construction historique d’un horizon d’éradication des maladies infectieuses. Ce moment commence avec la découverte de l’efficacité de la vaccination contre la variole (officiellement éradiquée en 1980) et vient, après un début de lutte réussie contre les fièvres paludéennes, confirmer l’action de l’homme, servie par la connaissance et la science. Il devient possible de débarrasser l’humanité d’un certain nombre de fléaux.

Avant cela, les victoires éclatantes de la bactériologie, entre 1880 et la Première Guerre mondiale, permettent d’entrevoir la méthode par laquelle il va devenir possible d’éradiquer les maladies infectieuses : le dépistage des agents infectieux, la mise au point des sérums et des vaccins. La découverte des sulfamides et leur usage (surtout pendant la Seconde Guerre mondiale), puis les découvertes successives de nombreux antibiotiques, mouvement caractéristique des années 1945-1970, rendent les scientifiques, les experts internationaux et la population dans son ensemble de plus en plus confiants dans les pouvoirs de la nouvelle médecine.

Malgré ces avancées scientifiques réelles, c’est une erreur de vouloir éradiquer un virus ?

On a longtemps pensé que la vaccination et les sérums constitueraient la principale arme contre les maladies. Cette foi dans le progrès domine à la fin des années 60. Mais le fonctionnement du système du vivant n’est alors pas si bien compris qu’aujourd’hui et l’émergence de nouvelles maladies sous-estimée. Le ralentissement du rythme de mise au point de nouveaux antibiotiques permet aux résistances bactériennes de se multiplier. Vers le milieu des années 70, la mortalité hospitalière par infections s’élève pour la première fois depuis des décennies. De nouvelles maladies, les maladies émergentes, se font plus nombreuses à partir des années 80, en parallèle avec la nouvelle pandémie de VIH-sida. Le progrès des connaissances dans la compréhension du vivant conduit à penser que l’éradication des maladies infectieuses est tout simplement impossible et qu’il faut tenter de contrôler au mieux l’extension des nouvelles épidémies.

Avant le coronavirus, il y a eu des alertes : grippe H1N1,

Entre la grippe de Hongkong en 1968, la grippe du poulet de Hongkong en 1997, le Sras en 2003, la grippe aviaire H1N1 en 2009, et plus récemment Ebola et le Mers, la succession des nouvelles épidémies qui s’étendent dans la période récente est élevée, sans doute liée à l’accentuation des voyages (doublement du trafic aérien entre 2006 et 2018), à la diminution des espaces laissés aux animaux sauvages, à la présence de gibier mort ou vivant sur de nombreux marchés du monde (de nombreuses épidémies nouvelles proviennent de zoonoses, infections dont les agents se transmettent naturellement des animaux vertébrés à l’être humain) et au réchauffement climatique. Le Covid-19 prend place dans cette succession d’épidémies nouvelles qui scandent notre début de XXIe siècle.

Si la croyance en une idéologie du progrès est aujourd’hui un peu ébranlée, il faut toutefois rappeler que le niveau des connaissances médicales et scientifiques continue de progresser : il a fallu seulement quelques jours pour identifier le Covid-19, puis séquencer son génome, et ensuite quelques semaines pour développer un test de dépistage, organiser des essais thérapeutiques, et mettre au point des tests sérologiques d’utilisation aisés à utiliser lors de la sortie de confinement.

Où situez-vous la pandémie de Covid-19 dans l’histoire des maladies infectieuses ?

Il est encore trop tôt pour le dire : en termes de mortalité, nous serons sans doute au-dessus de la grippe saisonnière de 2016-2017 et ses 14 000 morts en France, mais en dessous, je l’espère, des 31 000 morts français de la grippe de Hongkong (1969-1970), dont 25 000 au mois de décembre 1969 et 6 000 en janvier 1970 ! Or beaucoup de ceux qui, comme moi, avaient 20 ans à l’époque ne s’en souviennent même pas. Au total, l’OMS estime qu’il y a eu un million de décès dus à la grippe de Hongkong. Cette épidémie a largement été sous-estimée par les médias à l’époque. Pendant la grippe asiatique (1957-1958) et bien entendu aussi pendant la grippe espagnole (1918-1920), la presse française reste soumise à la censure et à une limitation du nombre de pages publiées. Ce qui explique que l’on dispose de beaucoup plus de documentation espagnole ou américaine. La première grande épidémie sur laquelle nous avons une construction politique, sanitaire et médiatique forte est celle du H1N1. Depuis, il est évident que l’évolution du paysage médiatique et l’émergence des réseaux sociaux permettent de construire un récit de l’épidémie au quotidien.

Le contrôle des populations pour endiguer l’épidémie est-il nouveau ?

Il faut remonter assez loin dans le passé pour rencontrer dans une période de paix des mesures coercitives en temps de crise sanitaire. Cela fait penser aux dispositifs de lutte contre la peste, mis en place au lendemain de la peste noire (1347-1349) par les grandes cités marchandes italiennes et peu à peu adoptées par tous les pays européens. La dernière peste survenue en Europe occidentale fut celle de Marseille en 1720-1722, lors de laquelle toutes les procédures de contrôle des mobilités furent mises en place : quarantaines, lazarets, cordons sanitaires militaires et même… un mur de la peste (encore visible aujourd’hui) qui permettait de bloquer la frontière sur près de 30 kilomètres. Quelques contrôles de ce type ont encore été organisés au début du XIXe siècle lors d’une épidémie de fièvre jaune en Catalogne et lors du choléra de 1832, puis très vite abandonnés car jugés peu efficaces.

Comment fait-on face à l’épidémie en pleine expansion du commerce international ?

Le XIXe siècle est celui du libre-échange si bien que, profitant de la querelle médicale entre tenants de la contagiosité du choléra et ceux qui pensent qu’il s’agit d’une maladie transmise par les vents et les conditions météorologiques, les Anglais commencent à lever le système des quarantaines au cours des années 1840 et aboutissent au milieu des années 1860 à la mise en place de ce que l’on appelle l’english system ou la néoquarantaine : chaque bateau est accueilli dans son port de destination mais une visite médicale immédiate à bord décide des personnes qui, malades, sont directement envoyées vers les fever hospitals, et de ceux qui pourront descendre librement à terre tout en donnant aux autorités l’adresse à laquelle ils seront visibles pendant une petite semaine. C’est ce système de contrôle des épidémies qui a prévalu à la fin du XIXe siècle, au XXe et au début du XXIe, jusqu’à la crise pandémique actuelle.

De telles mesures ont-elles été pérennisées dans le temps ?

Le système de contrôle de l’état sanitaire des bateaux arrivés du Levant est resté en place pendant près de quatre siècles (1450-1725 et même jusqu’au début du XIXe). Les dispositions pouvaient être immédiatement durcies dès qu’un bateau était suspect. En fait, depuis cette époque, les hommes tentent d’identifier le plus tôt possible l’existence de toute nouvelle épidémie afin de s’en protéger par l’isolement volontaire. A la fin du XIXe siècle, c’est ainsi que les immigrants à New York sont testés pour savoir s’ils abritent des germes du choléra (il s’agissait de la principale pandémie de l’époque).

Y a-t-il une politique de crise sanitaire qui se dessine au fil du temps ?

On a longtemps opté pour la rupture des relations internationales, voire au sein du même pays. Puis, lorsque le mouvement hygiéniste montre clairement au long du XIXe siècle que certaines épidémies autochtones peuvent aussi faire des ravages (variole, rougeole, typhoïde, diphtérie, scarlatine, tuberculose), des mesures de contrôle de ces épidémies-endémies se mettent en place : on traque les cas grâce aux casiers sanitaires de villes de plus en plus nombreuses dès 1880 (Le Havre, Nancy, Amiens, Grenoble, Bordeaux, Paris…) qui relèvent le nom et l’adresse de chaque cas et de chaque décès, documenté avec la cause de la mort. L’objectif est de repérer par la cartographie les concentrations de décès (nos «clusters») et de prendre les mesures adéquates : s’il s’agit de variole, lancement d’une campagne de vaccination dans tout le quartier (l’obligation légale en France ne date que de 1902), et s’il s’agit de typhoïde, lancement de travaux de voirie afin de savoir où les égouts nuisent et contaminent le réseau d’eau potable.

En quoi la gestion d’une crise sanitaire influence-elle la façon de gouverner ?

Le moment de crise sanitaire est celui de l’exacerbation de la biopolitique, du biopouvoir et de la discipline des corps chers à Michel Foucault. Il y a toujours tension entre maintien des libertés individuelles et maintien de la sécurité sanitaire collective, il y a aussi tension entre poursuite de la vie économique et sociale et sécurité sanitaire. On peut dire que la lutte contre les grandes épidémies successives est allée de pair avec un contrôle de plus en plus sophistiqué des individus : l’empêchement de leurs déplacements, le respect de règles nombreuses, l’obligation de vaccination, l’obligation de se soumettre à des contrôles médicaux, le suivi de vos déplacements, casiers sanitaires et traçage de vos lieux et cause de décès ou, récemment en Corée du Sud, l’utilisation des smartphones pour que votre statut individuel face à la maladie soit connu de tous et que vous connaissiez aussi celui des autres, bien sûr. Dans ce procédé, les données personnelles ne vous appartiennent plus. Dans ce cas, le salut et l’intérêt collectif passent désormais avant les destins individuels.

Recueilli par Simon Blin

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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 03 mai 2020, 08:21

Le grand écrivain Turc apporte une vision très documentée des épidémies dans une tribune publiée par Libé.
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TRIBUNE ……… Orhan Pamuk, écrivain, Prix Nobel de littérature — . 2 mai 2020 à 18:06
Dans les rues de Hong Kong en 1894, les morts de la peste bubonique gisent au sol.
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Dans les rues de Hong Kong en 1894, les morts de la peste bubonique gisent au sol. Illustrations Getty Images
Le romancier turc travaille depuis quatre ans sur un livre sur la peste noire qui ravagea l’Asie au début du XXe siècle. Déni, peur, rumeurs, les réactions sont identiques à celles d’aujourd’hui, humaines et universelles.
La leçon des grands romans d’épidémie, par Orhan Pamuk

De tout temps, les peuples ont répondu aux crises sanitaires en propageant des rumeurs et de fausses informations. Que ce soit au XVIIe ou au XXIe siècle, la maladie est invariablement dépeinte comme un mal «étranger» infligé à la société depuis l’extérieur.

Istanbul. Cela fait maintenant quatre ans que je me consacre à l’écriture d’un roman historique dont l’action se déroule en 1901, pendant ce que l’on a coutume d’appeler la «troisième pandémie de peste», une épidémie de peste noire qui a fait des millions de morts en Asie, mais relativement peu en Europe. Or voici que depuis deux mois, mes amis, ma famille, mais aussi des éditeurs et des journalistes, toutes celles et ceux qui connaissent le sujet de mon ­nouveau livre, les Nuits de la peste, me pressent de questions sur les pandémies.


Ils me demandent avidement s’il y a des ressemblances entre l’actuelle pandémie de coronavirus et les grandes épidémies historiques de peste et de choléra. Et je leur réponds que les ressemblances sont légion. Dans l’histoire humaine et littéraire, ce ne sont pas uniquement les bactéries et les virus qui sont communs aux pandémies, mais bien le fait que nos réponses initiales ont toujours été les mêmes.

Et la réplique première face à l’apparition d’une nouvelle pandémie a invariablement été le déni. Qu’ils soient nationaux ou locaux, les gouvernements ont toujours tardé à réagir, déguisant les faits et manipulant les chiffres à leur guise, afin de nier autant que possible l’existence de la crise naissante.

Dans les pages d’introduction de son Journal de l’Année de la Peste, l’œuvre littéraire la plus édifiante jamais écrite sur les réactions hu­maines face à la contagion, Daniel Defoe ­raconte comment, en 1664, les autorités locales de certains quartiers de Londres ont cherché à minimiser le nombre de morts dus à ce fléau en déclarant que les décès étaient liés à d’autres maladies, inventées pour l’occasion (1).

Dans les Fiancés, roman publié en 1827 et relatant la propagation de la peste avec un réalisme extraordinaire, l’écrivain italien Alessandro Manzoni décrit – et défend – la colère de la ­population face à la stratégie officielle mise en place à Milan en 1630, pour lutter contre la peste (2). Refusant de se rendre à l’évidence, le gouverneur de la ville nia la menace que représentait la maladie et alla jusqu’à maintenir les festivités organisées pour célébrer l’anniversaire d’un prince de la région. Dans ces pages, Manzoni montre comment des mesures ­de restriction insuffisantes, appliquées ­de manière trop laxiste et largement négligées par la population, ont nettement accéléré la propagation de la maladie.

D’abord le déni

Une grande partie de la littérature inspirée par les épidémies et les maladies contagieuses présente l’insouciance, l’incompétence et ­l’égoïsme des autorités comme les seuls ­facteurs responsables de la fureur des masses. Mais les grands écrivains vont chercher plus loin : à l’image de Defoe ou Camus, ils nous permettent d’entrevoir quelles émotions ­inhérentes à notre condition humaine ­sous-tendent cet acharnement populaire.

Ainsi, le roman de Daniel Defoe nous montre-t-il que derrière ces sempiternelles remon­trances et cette colère sans bornes se cache un ressentiment dirigé contre le destin, contre une volonté divine qui serait simple spectatrice –  et peut-être justificatrice  – des ravages de la mort et de la souffrance humaine ; une ire déclenchée par les institutions ou la religion organisée, lesquelles semblent douter de la réponse qu’il convient d’apporter à ces calamités.

Une autre réaction des hommes face aux pandémies, réflexe manifestement aussi universel que spontané, a toujours consisté à fomenter la rumeur et à répandre des informations fallacieuses. Au cours des épidémies du passé, les rumeurs étaient principalement entretenues par la désinformation et l’impossibilité de se ménager une vue d’ensemble de la situation.

Dans les récits de Defoe et Manzoni, les gens gardent leurs distances quand ils se croisent dans la rue en temps de peste, mais ils échangent aussi des nouvelles, les dernières anec­dotes de leurs villes respectives, afin d’avoir un meilleur aperçu de l’ampleur de l’épidémie. Ce tableau plus détaillé est pour eux le seul ­espoir d’échapper à la mort et de trouver ­un refuge où se garder de la maladie.

Puis les rumeurs

Dans un monde où les journaux, la radio, la télévision et Internet n’étaient pas encore apparus, la majorité de la population, analphabète, ne pouvait s’en remettre qu’à son imagination pour dépister le danger, prendre la mesure de sa gravité et des tourments qu’il pouvait infliger. Cette confiance en l’imagination donnait à la terreur de chaque être sa propre expression, individuelle et distincte, tout en lui insufflant une dimension lyrique –  et ainsi devenait-elle localisée, spirituelle et mythique.

Les rumeurs les plus communes qui se déclaraient en même temps que les épidémies de peste concernaient l’origine de la maladie : qui l’avait apportée, d’où était-elle venue  ? Le mois dernier, au moment où une peur panique commençait à se répandre en Turquie, le respon­sable de ma banque, à Cihangir, quartier d’Istanbul où je vis, m’a déclaré d’un air entendu que «cette chose» était la riposte économique de la Chine face aux Etats-Unis et au reste du monde.

La maladie serait étrangère

Comme le Mal lui-même, la peste était toujours dépeinte comme venant de l’extérieur. Elle avait déjà frappé ailleurs, et les efforts n’avaient pas été suffisants pour l’endiguer. Dans le récit qu’il livre de la propagation de la maladie à Athènes, Thucydide commence par observer que l’épidémie s’est déclarée bien loin de la ville, en Ethiopie et en Egypte.

La maladie serait donc étrangère ; elle arrive de loin, et elle a été introduite dans la cité avec des intentions mauvaises. Ce sont toujours les rumeurs portant sur l’identité supposée de sa forme originelle qui sont les plus tenaces et les plus populaires.

Dans les Fiancés, Manzoni décrit un personnage récurrent dans l’imaginaire du peuple ­depuis le Moyen Age : à chaque nouvelle épidémie, la rumeur fait revivre cette silhouette démoniaque et vague qui rôde dans l’obscurité, répandant sur les poignées de porte et dans l’eau des fontaines un liquide contenant le virus de la peste. On connaît aussi l’histoire de ce vieillard qui, accablé de fatigue, trouve refuge dans une église et s’assied à même le sol ; une femme passe à côté de lui et l’accuse d’avoir frotté son manteau sur les murs et les bancs pour ­propager la maladie. Il n’en faut pas plus pour qu’une foule enragée se rassemble et le lynche sur-le-champ.

Ces accès de violence aussi imprévisibles qu’incontrôlables, ces ouï-dire, ces mouvements de panique et de rébellion apparaissent dès la Renaissance dans nombre de récits d’épidémies. Marc Aurèle déchaîna sa colère sur les chrétiens de l’Empire romain, leur reprochant d’avoir colporté la peste antonine – c’est qu’ils avaient refusé de participer aux rites censés apaiser les dieux. A la faveur d’épidémies plus tardives, on accusa les juifs d’avoir empoisonné les fontaines de l’Empire ottoman et de l’Europe catholique.

Terreur métaphysique

L’histoire et la mémoire littéraire des épidémies nous montrent que l’intensité de la souffrance, la peur de la mort, la terreur métaphysique et le sens du surnaturel chez la population affligée étaient proportionnels à l’intensité de leur ­colère et de leur insatisfaction politique.

De même que lors de ces pandémies anciennes, les rumeurs infondées et les accusations reposant sur l’identité nationale, religieuse, ethnique et régionale ont eu une influence non négligeable sur le cours des événements à mesure que l’épidémie actuelle de coronavirus gagnait du terrain. Et la tendance des réseaux sociaux et des médias populistes à grossir les mensonges a alimenté cette dynamique récurrente.

Mais il y a une différence de taille : aujourd’hui, nous avons accès à infiniment plus d’informations que nos ancêtres sur la pandémie que nous traversons – et des informations infiniment plus fiables. C’est aussi pour cette raison que la peur insondable et légitime que nous éprouvons aujourd’hui est si différente de la leur. Car notre terreur est moins alimentée par les rumeurs, en même temps qu’elle est amplifiée par des informations exactes.

Cortège funéraire

A mesure que nous voyons les petits points ­rouges se multiplier sur les cartes de nos pays et s’étendre à la planète entière, nous prenons conscience qu’il n’est plus de refuge. Nous n’avons même plus besoin de faire travailler ­notre imagination pour craindre le pire. Nous suivons des yeux les noirs convois des camions militaires charriant les cadavres des petites ­villes italiennes jusqu’aux crématoriums des environs, comme si nous assistions ­à notre propre cortège funéraire.

Et pourtant, l’effroi que nous éprouvons est étranger à notre imagination et à notre individualité propres ; il révèle à quel point la fragilité de nos existences et cette humanité que nous avons en partage sont proches. C’est une découverte. La peur, comme l’idée de la mort, nous esseule, mais la conscience que nous sommes tous soumis à la même angoisse nous arrache à notre solitude.

Savoir que toute l’humanité, de la Thaïlande à New York, partage nos peurs – quand et comment utiliser un masque, comment manipuler les produits que nous venons d’acheter à l’épicerie, à quel moment se mettre en quarantaine volontaire ? – nous rappelle sans cesse que nous ne sommes pas seuls et engendre une solidarité nouvelle. Nous cessons d’être mortifiés par ­notre peur, et nous découvrons en elle une humilité qui favorise la compréhension mutuelle.

Une peur commune à l’humanité

Il me suffit d’allumer la télévision et de voir tous ces gens qui font la queue devant les plus grands hôpitaux de la planète pour me rendre compte que ma terreur est la même que celle de toute l’humanité – alors je ne suis plus seul. Du même coup, j’ai moins honte de ma peur, et je la considère de plus en plus comme une réponse éminemment sensible. Je me souviens de cet adage qui ressurgit en temps de pandémie, en temps de peste : ceux qui ont peur vivent plus longtemps. Et je finis par comprendre que la peur fait naître deux réactions distinctes en moi et peut-être en chacune et chacun de nous. Parfois, elle me pousse à me retirer en moi-même, à chercher la solitude et le silence. Mais elle peut aussi m’enseigner l’humilité, m’encourager à cultiver la solidarité. J’ai commencé ­à rêver ce roman d’épidémie il y a trente ans, et c’était déjà la peur de la mort qui présidait à mes premières réflexions.

En 1561, l’écrivain Ogier Ghiselin de Busbecq, ambassadeur de l’Empire des Habsbourg auprès de l’Empire ottoman pendant le règne de Soliman le Magnifique, échappe à la peste qui fait rage à Istanbul au prix d’un périple de six heures, pour débarquer sur l’île de Büyükada, alors Prinkipo, la plus grande des neuf îles des princes, dans la mer de Marmara, au sud-est la capitale turque. C’est là qu’il écrira que les lois imposant la quarantaine à Istanbul ne sont pas assez strictes, et que la religion des Turcs, l’islam, fait d’eux des «fatalistes».

Environ un siècle et demi plus tard, même le ­sagace Defoe écrivait dans son roman sur la peste londonienne : «Les Turcs et les Mahométans […] professaient des Idées fondées sur la Prédétermination, déclarant que la Destinée de tout Homme est déjà écrite.» Quant au roman d’épidémie que j’écrivais moi-même, il allait m’aider à penser le «fatalisme» musulman à l’ère du sécularisme et de la modernité.

Islam et fatalisme

J’ignore si c’est dû à ce prétendu fatalisme des musulmans, mais une chose est sûre : historiquement, il a toujours été plus ardu de convaincre les musulmans de se plier aux mesures de quarantaine en temps d’épidémie que les ­chrétiens – une réalité qui se vérifiait tout particu­lièrement sous l’Empire ottoman. Les protestations de nature commerciale que les commerçants et la population rurale de toute obédience tendaient à faire valoir pour s’opposer à la réclusion forcée étaient aggravées, au sein des communautés musulmanes, par les problèmes liés à la «décence» des femmes et au caractère privé de la sphère domestique. Au ­début du XIXe siècle, les communautés musulmanes exigeaient d’être soignées par des «docteurs musulmans», à une époque où les médecins étaient pour la plupart chrétiens, et ce même dans l’Empire ottoman.

A partir des années 1850, à mesure que les ­voyages en bateau à vapeur devenaient plus abor­dables, les pèlerins affluant vers les terres saintes de La Mecque et de Médine s’avérèrent les plus efficaces porteurs de maladies infectieuses qui soient. A tel point qu’au tournant du siècle dernier, les Britanniques installèrent à Alexandrie ce qui allait devenir l’un des plus grands «bureaux de quarantaine» au monde.

Ces évolutions historiques furent non seulement à l’origine de l’idée stéréotypée d’un «fatalisme musulman», mais aussi du préjugé selon lequel ces peuples et leurs voisins d’Asie étaient à la fois la source et le seul vecteur des maladies contagieuses.

A la fin du grand roman de Dostoïevski, Crime et Châtiment, quand Raskolnikov a soudain la vision d’une épidémie, ce qu’il dit s’inscrit dans cette même tradition littéraire : «Malade, il avait rêvé que le monde entier était condamné à subir une sorte de plaie d’Egypte, terrible, inouïe, jamais vue, qui venait du fin fond de l’Asie jusqu’en Europe» (3). En consultant les cartes du XVIIe et du XVIIIe siècle, l’on constate que les fron­tières politiques de cet Empire ottoman alors considéré comme le commencement du monde «par delà l’Europe», épousaient le tracé ­du Danube. Mais la frontière culturelle et ­anthropologique qui séparait les deux mondes portait un autre nom : la peste. Et elle semblait d’autant plus réelle qu’on était beaucoup plus susceptible d’attraper ce mal à l’est du Danube.

Humilité et persévérance

Non content de renforcer l’idée d’un fatalisme inné si souvent attribué aux cultures orientales et asiatiques, tout cet imaginaire contribuait à asseoir le préjugé affirmant que les pestes et autres épidémies trouveraient leur source dans les plus sombres recoins de l’Orient.

Le tableau que l’on peut reconstituer à partir de nombreux récits historiques et locaux nous apprend que même pendant les plus terribles pandémies de peste, les mosquées d’Istanbul continuaient à mener des ­rites funéraires, que les personnes endeuillées se rendaient visite pour se présenter leurs condoléances et s’enlacer en mêlant leurs larmes. Au lieu de se demander d’où la maladie avait bien pu venir et comment elle se propageait, on préférait s’assurer que les préparations pour le prochain enterrement étaient menées comme il se devait.

Aujourd’hui, le gouvernement turc privilégie une approche séculaire en interdisant la tenue ­d’obsèques pour les personnes décédées du ­coronavirus, et en prenant la décision claire de fermer les mosquées chaque vendredi, le jour où les fidèles se regroupaient en grand nombre pour la prière la plus importante de la semaine. La population ne s’est pas opposée à ces mesures. La peur qui nous étreint est grande, mais elle sait aussi se montrer sage et persévérante.

Si nous voulons qu’un monde meilleur s’élève de cette pandémie, il nous faudra adopter et nourrir cette humilité, cette solidarité ­engendrées par les sombres heures que nous traversons.

Texte traduit de l’anglais par Alexandre Pateau

Ouvrages cités :
(1) Journal de l’Année de la Peste, de Daniel Defoe, traduit de l’anglais par Francis Ledoux, Gallimard, «Folio classique», 384 pp., 8,50 €.
(2) Les Fiancés, histoire milanaise du XVIIe siècle, d’Alessandro Manzoni, traduit de l’italien par Yves Branca, Gallimard, «Folio classique», 864 pp., 12,90 €.
(3) Crime et Châtiment, de Fiodor Dostoïevski, traduit du russe par André Marcowicz, Actes Sud, «Actes Noirs», 672 pp., 23 € (également disponible en ebook).

Orhan Pamuk écrivain, Prix Nobel de littérature

Claude
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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 16 mai 2020, 06:15

Voici un article du 1° juillet 2009 écrit sur la base d’infos de l’AFP
concernant les fameuses initiatives de Roselyne BACHELOT alors ministre de la Santé
qui lui valurent tant de critiques de politiques.
Et tant de moqueries diverses.

Intéressant à lire à l’heure du Covid-19.

.

Un milliard de masques disponibles contre la grippe A

— 1 juillet 2009 à 12:40 (mis à jour à 18:57)

Face au risque de diffusion de la grippe A/H1N1, Roselyne Bachelot se veut rassurante.

Un milliard de masques disponibles contre la grippe A

Roselyne Bachelot a indiqué mercredi que dans le cadre du plan national contre la grippe A/H1N1 la France avait acquis un milliard de masques anti-projections, 723 millions de masques de protection et 33 millions de traitements antiviraux.

«Nous nous sommes donné au maximum les moyens» d'être prêts, a dit la ministre, en ouverture d'un colloque sur l'état de préparation de la France devant l'émergence de ce nouveau virus.


Les masques anti-projections sont des masques simples, en papier ou non tissés (masques dits «chirurgicaux»), à destination des malades. Les masques de protection, dits FFP2, aux normes européennes et à pouvoir filtrant important, de forme coque ou pliable, sont pour les personnes «particulièrement exposées», notamment les soignants.

Un programme de «renouvellement important» des stocks de masques FFP2 a été lancé, a dit encore la ministre.

En ce qui concerne les vaccins, elle a rappelé que des négociations étaient en cours avec quatre groupes industriels (GSK, Sanofi-Pasteur, Novartis, Baxter) «afin que toute personne résidant en France et que tout Français vivant à l'étranger puisse bénéficier d'une vaccination dans les meilleurs délais». Des contrats «devraient être notifiés dans les prochaines semaines», a-t-elle dit.

Une hospitalisation pour les cas graves

Elle a également rappelé que le dispositif de prise en charge des malades avait évolué : désormais seuls les cas graves sont hospitalisés et la prescription d'antiviraux n'est plus systématique. Le nombre d'établissements de santé pouvant assurer la prise en charge des malades, avec circuit dédié, capacité à réaliser les prélèvements, masques et médicaments, devrait passer prochainement de 112 à plus de 400.

«Dans le courant de l'été», un élargissement du dispositif de prise en charge aux médecins de ville sera mis en place, et ils auront «un rôle absolument essentiel dans la gestion de l'épidémie», a-t-elle dit.

Roselyne Bachelot, qui participera le 6 juillet à la réunion informelle des ministres de la Santé en Suède, a indiqué «attendre beaucoup de cette rencontre», afin de confronter les approches et «rapprocher celles qui sont envisagées pour demain».

Un nouveau cas détecté dans le Lot

Un premier cas avéré d'infection par le virus de la grippe A/H1N1 a été détecté mardi dans le Lot chez un homme de 19 ans arrivant de Grande-Bretagne pour passer des vacances dans le Lot, a-t-on appris mercredi auprès de la préfecture.

Admis dimanche aux urgences à Cahors, il en est ressorti quelques heures plus tard pour rester confiné sous traitement tamiflu dans la résidence secondaire de ses parents, selon la même source qui n'a pas précisé la nationalité du malade.

Les prélèvements effectués ont confirmé mardi qu'il avait été contaminé par le virus de la grippe A/H1N1. Son état n'inspire cependant pas d'inquiétude.

Selon le dernier bilan de l’Institut de veille sanitaire (InVS), la France compte 299 cas confirmés de grippe A. Parmi eux, 270 sont des cas importés ou liés à des cas importés.

L'Invs ne relève que cinq épisodes de cas groupés non liés à des cas importés, comme dans un collège du XVe arrondissement de Paris. Cela signifirait une circulation, encore limitée, du virus dans la population.

(source AFP)

Modifié en dernier par Claude le 16 mai 2020, 06:45, modifié 2 fois.

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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 16 mai 2020, 06:24

Dans cet article de 2009, publié dans les colonnes de Libé,
je note l’emploi de termes plus corrects
pour désigner les masques qu’on ne le fait souvent aujourd’hui.

On n’y parle pas de « masques » point barre………
mais on fait la différence entre les « masques anti-projections » ( nos fameux « masques chirurgicaux » ) d’une part,
et les « masques de protection »
( les FFPx ) d’autre part.

Pour le lecteur de cette dépêche de 2009,
Il est évident que les seuls masques protégeant leurs porteurs sont les FFP2.

L’auteur de ce texte avait bien mieux fait son travail que la plupart des journalistes et hommes politiques d’aujourd’hui. Il est bien dommage que cet esprit de précision -voire de nuance- se soit évaporé en une dizaine d’années. :evil:

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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 18 mai 2020, 15:45

Et encore une historienne dans mon filet.
Une historienne ayant travaillė sur les épidémies d’antan.
Suivi d’une bibliographie !
.
« Cette mondialisation de masse des phénomènes épidémiques, c’est du jamais vu »

Par Françoise Fressoz.

Le Monde. Publié le 15 mai 2020 à 05h00 - Mis à jour le 16 mai 2020 à 19h13




ENTRETIEN
L’historienne Françoise Hildesheimer retrace l’histoire des épidémies - peste bubonique, choléra, fièvre typhoïde, grippe espagnole - et leurs conséquences dans notre conception de la santé et de la science.



L’épidémie est souvent décrite comme un « événement social parfait » qui met en jeu l’économie, le social, les mentalités. Son expérience change-t-elle le cours du monde et des sociétés ? Quelles leçons pouvons-nous tirer du passé ? L’historienne Françoise Hildesheimer, auteure de Fléaux et société : de la Grande Peste au choléra (Hachette, 1993), nous éclaire, avec, en préalable, cette mise en garde : « L’un des pires péchés que l’historien peut commettre s’appelle l’anachronisme, qui consiste à vouloir plaquer le présent sur le passé : c’est le péché capital contre la méthode, l’accusation de travailler à contretemps. Et pourtant… il ne saurait y avoir d’histoire vraie qui, en se gardant d’anachronisme et d’amalgame, ne débouche sur une réalité contemporaine. »

Près de la moitié de l’humanité s’est retrouvée brusquement confinée pour tenter de maîtriser l’épidémie de Covid-19. Est-ce du jamais-vu ?

Une bonne partie de l’histoire humaine peut être vue comme une coévolution entre les hommes, les animaux et les microbes, bactéries et virus, une relation au vivant et une circulation planétaire. Mais, ce qui est du jamais-vu, c’est d’abord l’explosion démographique mondiale, qui amplifie le phénomène à une échelle absolument inédite, y compris aujourd’hui, en soulignant le contraste entre l’ampleur du confinement et le nombre limité de morts ; c’est aussi l’accélération des communications au niveau de la planète et sa conséquence directe sur la transmission des agents pathogènes ; c’est encore l’information « en continu », les réseaux sociaux, la pandémie en direct avec la diffusion en temps quasi réel des informations et des polémiques ; pour résumer, c’est une mondialisation de masse des phénomènes épidémiques, tant pour ce qui est de leur diffusion effective que pour l’information relative à cette diffusion, laquelle est porteuse d’une charge émotionnelle inédite.

L’ancienne conception du sanitaire, plus administrative et policière que médicale, qui présidait à la lutte contre les épidémies, apparaît du coup non seulement dépassée, mais encore incompréhensible. Pensez qu’au temps de la peste l’une des premières mesures prises était la fermeture des hôpitaux, considérés comme des foyers d’infection ! Cependant, sa conception moderne, prise en charge par une médecine qui se veut efficace et humanitaire, se trouve, elle aussi, mise à mal par les incertitudes qui s’attachent à ce virus. Nous nous trouvons de fait ramenés à des pratiques anciennes de confinement aujourd’hui difficilement supportables…

Dès le début de l’épidémie, on a su comment se nommait le virus et à quoi il ressemblait, sans cependant savoir comment le vaincre. Cela change-t-il quelque chose dans son appréhension ?

Pas fondamentalement, car, en matière d’épidémie, l’essentiel a toujours résidé dans la lutte collective. Jusqu’aux découvertes des pastoriens, on était dans l’ignorance des causes et des modes de transmission, mais il était finalement secondaire que l’analyse scientifique soit inexistante ou erronée ; l’essentiel était qu’on en ait reconnu empiriquement les causes principales de la propagation (contact avec les malades, manque d’hygiène…), ce qui permettait d’obtenir des résultats souvent positifs. Il faut se souvenir que l’épidémie « historique » était avant tout un phénomène urbain et que ce qui caractérisait la ville, c’était la fermeture par rapport au pays environnant : murailles, portes fermées la nuit, chaînes pour les ports… De surcroît, l’ignorance où l’on se trouve à l’endroit de ce virus donne lieu en tout temps aux mêmes attitudes mentales, qui sont causées par la peur de l’inconnu…

L’attente providentielle du vaccin montre à quel point nous sommes soudain démunis…

Nous avons vécu au XXe siècle dans la sécurité de la vaccination. En 1979, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait la variole éradiquée. L’humain s’est alors senti capable de vaincre les maladies. Le VIH puis Ebola ont pourtant mis à mal cette croyance sécurisante. Le coronavirus sonne le glas de cette illusion et le risque incertain est toujours celui qui fait le plus peur.

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Du coup, nous nous trouvons ramenés des siècles en arrière, replongés dans l’histoire des grandes épidémies…

On en trouve trace dès l’Antiquité : une fièvre typhoïde venant d’Ethiopie frappe la Grèce, en pleine guerre du Péloponnèse, faisant environ 70 000 morts sur une population qu’on peut estimer autour de 200 000 habitants. Périclès n’en réchappe pas et la civilisation grecque décline. Cinq siècles plus tard, la peste antonine, qu’on suppose être la variole ou une fièvre hémorragique, ravage et déstabilise l’Empire romain, et fait disparaître un tiers de la population de Rome. Puis c’est la peste dite de Justinien, au VIe siècle, qui atteint tout le bassin méditerranéen et provoque le décès de 20 millions à 25 millions de personnes, stoppant toute tentative de consolidation de l’Empire romain face aux Barbares. Racontée par Grégoire de Tours, elle fournit le récit classique d’une épidémie de peste bubonique telle qu’elle frappera désormais périodiquement l’Occident jusqu’au XVIIIe siècle. Elle prend en quelque sorte la suite de la lèpre, qui décroît au XIVe siècle.

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La peste est marquée par trois caractères : le nombre, l’impuissance humaine et la mort. L’épidémie est davantage perçue comme une mort collective que comme une maladie individuelle ; elle suscite évidemment l’effroi et provoque la fuite : Cito, longe, tarde, c’est-à-dire : « Fuis vite, loin/longtemps et reviens tard. » Encore fallait-il en avoir la possibilité…

La « peste noire » frappe particulièrement les esprits, pourquoi ?

D’abord, elle tue beaucoup. On parle de plus de 50 millions de morts, de 40 % à 60 % de la population. A Avignon, le pape et la cour pontificale n’y échappent que par un strict isolement dont ils ont les moyens. Ensuite, elle est d’une désespérante récurrence. Elle revient tous les dix ans jusqu’à 1356, puis en moyenne tous les quinze ans, mais plus irrégulièrement et de moins en moins violemment jusqu’à 1670.

Il faut imaginer ce que représente pour la population cet événement à la fois brutal et incompréhensible : jusqu’à la fin du XIXe siècle et aux découvertes scientifiques de Yersin [qui a trouvé le bacille de la peste en 1894] et Simond [qui met en évidence le rôle de la puce du rat dans la transmission de la peste bubonique en 1898], on se trouvait confronté à un mal dont on avait empiriquement reconnu le caractère contagieux, mais dont on ignorait l’origine, les mécanismes de transmission (puce-rat-homme) et la manière de le soigner…

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La seule explication dont on disposait consistait à rapporter l’épidémie à un châtiment de Dieu éprouvant l’humanité pécheresse. Le discours de l’Eglise intervenait alors pour donner à un phénomène inexplicable une signification d’ordre supérieur et fournir des armes spirituelles pour lutter contre lui (pénitence, confession, processions, neuvaines, vœux…).

A l’époque moderne, lorsqu’on a cru s’en être débarrassé, la peste a brutalement réapparu à Marseille en 1720. L’émotion a alors été considérable.

Dans ce port de Marseille, la technique du confinement était déjà bien rodée. Ce que nous vivons aujourd’hui ressemble-t-il à ce qui s’y est produit ?

Pour qui a étudié, entre autres, cette épidémie [de peste], il existe effectivement des similitudes dans le déroulement. La maladie commence en général par être minimisée. Puis tout s’accélère. C’est logique, car l’histoire des épidémies commence par une lutte empirique, qui évolue au fur et à mesure que la connaissance progresse.

Apparue le 20 juin 1720 en ville, la peste n’a été officiellement reconnue comme telle que le 26 juillet. Quatre jours plus tôt, l’intendant de Provence était rassurant : « Je ne pense pas qu’il y ait lieu d’interrompre les communications », affirmait-il. Mais, le 31, le parlement d’Aix-en-Provence interdit brutalement tout commerce avec Marseille. La Provence veut se protéger, mais elle omet de confiner strictement la ville, ce que fera, le 14 septembre seulement, depuis Versailles, le Conseil du roi, qui se saisit du dossier et ordonne enfin le blocus de Marseille. Entre-temps, les Marseillais aisés ont trouvé refuge dans leurs « bastides » et transporté le bacille de la ville à la campagne. Les dernières interdictions de communications ne tomberont qu’en 1724. Au total, cinq mois de très strict isolement et trente mois d’isolement réglementaire plus ou moins bien respecté.

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Qu’est-ce qui a freiné, au début, la décision de confiner ? La méconnaissance du risque ou les considérations économiques ?

Dans le cas de Marseille, ce sont, à l’évidence, des considérations économiques. Le 20 juin, une pauvre femme meurt avec un charbon [une ulcération de la peau recouverte d’une croûte noire]. C’est la première victime en ville. Le 28, un tailleur décède de fièvre maligne. Le 1er juillet, c’est le tour de deux femmes, l’une avec un charbon, mais l’autre avec un bubon [un gonflement des ganglions lymphatiques]. Le 9, les médecins parlent de la peste, mais les échevins ne veulent y voir que des accidents limités et continuent à prétendre que la santé est bonne dans la ville.

Ce n’est que le 26, et en dépit de la multiplication des décès, qu’ils se décideront, bien trop tard, à prendre des mesures. En effet, l’annonce de la peste est, pour la ville commerçante, une catastrophe qui a pour conséquences immédiates l’interruption du commerce et la ruine de l’économie, le désordre des finances, sans parler des conséquences démographiques. Marseille, qui comptait environ 100 000 habitants, perdra dans l’épidémie la moitié de sa population.

Michel Foucault a écrit des lignes terribles sur le confinement, y voyant une nouvelle forme de gouvernement, qu’il appelle l’« organisation disciplinaire ». Partagez-vous son analyse ?

Pour ce temps d’exception, on doit en effet se souvenir des pages de Michel Foucault, qui fait du confinement le laboratoire des procédures disciplinaires. Car une telle situation semble susceptible d’exploitation politique.

Le temps de l’épidémie peut être vu comme la manifestation grandeur nature de la volonté étatique de contrôle universel, et la ville confinée comme lieu d’expérience du renfermement et du quadrillage policier. Foucault parle d’un « rêve politique de la peste », de « l’utopie de la cité parfaitement gouvernée ». Il explique dans Surveiller et punir : « Pour faire fonctionner selon la pure théorie les droits et les lois, les juristes se mettaient imaginairement dans l’état de nature ; pour voir fonctionner les disciplines parfaites, les gouvernants rêvaient de l’état de peste. » Certes, mais il ne faut pas oublier le caractère temporaire du temps d’épidémie, qui limite la possibilité de son détournement politique au mépris des droits individuels aujourd’hui hautement revendiqués.

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Quand Michel Foucault décrivait « l’étatisation du biologique « 


Le sanitaire, tel qu’il était conçu à l’époque, était un moyen de lutte reposant sur l’exclusion, temporaire mais violent, coercitif et policier, supposant la mort en cas d’infraction. Il s’agissait d’une rupture de contact, absolument pas d’hygiène. On n’en est évidemment plus là. Il reste qu’on a pu comparer temps de peste et Terreur : dans les deux cas, on trouve la peur, l’idée d’un complot, des suspects, la quête de boucs émissaires : « engraisseurs de peste », juifs, lépreux, sorciers, Bohémiens, immigrés… – que dit Trump aujourd’hui ? La rancœur des pauvres, la peur de mesures restreignant les libertés, la dictature du pouvoir (local, central), la nécessité de maîtriser la violence sociale, de maintenir l’ordre, de défendre la propriété, de taxer les denrées…

Mais cette volonté de maintien de l’ordre s’exprime aussi en termes de prévention par la mise en œuvre de mesures d’assistance sociale. Son but primitif était la défense de l’ordre social bien davantage que la charité chrétienne. Ce n’est que peu à peu que se mettra en place une politique sanitaire fondée sur des obligations solidaristes, une politique de salubrité publique visant à éliminer les épidémies.

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A Marseille, le déconfinement s’est-il révélé aussi délicat que celui que nous connaissons aujourd’hui ?

En matière de bilan, le cas marseillais est particulièrement intéressant en raison de l’importance de la place commerciale. Or, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le bilan n’a pas été catastrophique : la fermeture du port n’a pas empêché les négociants de faire travailler leurs capitaux sur d’autres places ; le principal problème qui s’est posé à eux a été celui des moyens de paiement, en raison des difficultés alors causées par le système de Law [l’utilisation de papier-monnaie plutôt que d’espèces métalliques, dans le but de liquider la dette laissée par Louis XIV à sa mort]. Dès 1723, dans le contexte du climat de reprise économique de la Régence, l’expansion a été rapide.

En isolant Marseille, la peste a par ailleurs eu des conséquences sur d’autres places. L’industrie drapière de Rouen, qui faisait grande consommation de savon de Marseille, ne pouvait ainsi plus se fournir : elle en a profité pour restructurer ses modes de fabrication et ses procédures d’approvisionnement, et devenir plus autonome.

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L’épidémie a fini par être circonscrite…

Elle a été, en effet, contenue à la Provence et au Languedoc parce que la lutte a été coordonnée et centralisée depuis Versailles, qui a institué des cordons sanitaires et ce qu’on a appelé « le mur de la peste », un rempart édifié dans les monts de Vaucluse. Mais, en réalité, c’est davantage un phénomène naturel, le changement dans la population des rats, qui a permis d’éviter la propagation de la maladie, sans qu’à l’époque on en ait eu évidemment conscience : plus au nord, le rat brun ou surmulot domine et ses puces sont beaucoup moins virulentes que celles du rat noir qu’il supplante à ce moment. La cessation d’une épidémie est un phénomène complexe qui n’a pas fini d’interroger épidémiologistes et historiens.

Où l’historien trouve-t-il ses sources ?

Pendant longtemps, les sources utilisées étaient des traités médicaux – plus ou moins sagaces mais peu explicites, faute de connaissance des mécanismes de l’épidémie – ainsi que des monographies réalisées à partir de sources locales. Cette historiographie avait atteint ses limites jusqu’à ce qu’un médecin et historien, Jean-Noël Biraben, à partir de cette documentation considérable, réalise pour la peste une remarquable synthèse dans les années 1975, en y incluant l’étude de la propagation. Simultanément, les développements de la recherche ont permis de formuler de nouvelles hypothèses, renouvelant approches et conclusions. Le fait de pouvoir prélever et exploiter l’ADN des squelettes conservés a apporté de nouvelles indications et les travaux de l’archéozoologie ont permis d’éclairer l’histoire des populations de rongeurs et de leurs puces qui propagent le bacille.

L’un des exemples frappants de l’apport de la science concerne la grippe espagnole, qui a provoqué, à la fin de la guerre de 14-18, la mort de 50 millions à 100 millions de personnes, en majorité des jeunes. Aucune souche du virus n’avait été conservée, aucune étude sur l’origine de sa contagiosité et de sa virulence n’avait donc pu être menée jusqu’à ce que, en 1950, on découvre des tissus contenant des traces du virus sur des corps d’Inuits enterrés dans le permafrost d’Alaska.

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Quelles ont été les grandes étapes de la lutte contre les épidémies ?

Chaque épisode est spécifique, caractérisé par un lieu et une date, mais on retrouve nombre de points communs dans les réactions souvent ambivalentes des hommes qui y ont été confrontés. Assez vite sont installées des procédures et mises en place des institutions particulières : nécessité pour les bateaux de produire une « patente » de santé indiquant l’état sanitaire de leur port d’origine, procédures de quarantaines pour les hommes et les marchandises dans des « lazarets » [des établissements spécifiques de mise en quarantaine], dont le premier avait été créé à Raguse en 1435…

Une rupture se produit cependant lors de l’épidémie de choléra, en 1831. Venue des Indes par la Chine et la Russie, elle se propage à une allure spectaculaire au point de provoquer une « peur bleue » [la teinte que prend la peau en se cyanosant]. Le confinement se révèle inefficace ; le gouvernement de Louis-Philippe expérimente une politique de prévention : une Commission centrale de salubrité est installée par le préfet pour rechercher les causes d’insalubrité et indiquer les moyens d’y remédier. Pendant le cours de l’épidémie, les médecins multiplient les investigations sur les conditions de vie des malades, recherchant en particulier l’influence de l’exposition des maisons, de leur hauteur, du volume d’air de chaque pièce et de son renouvellement.

L’épidémie de choléra a donné le coup de grâce aux pratiques sanitaires traditionnelles qui se sont effacées au profit des idées hygiénistes. Un décret du 10 août 1849 supprime l’Intendance sanitaire de Marseille et celui du 24 décembre 1850 réforme le système sanitaire en réduisant les entraves des quarantaines portuaires. Les découvertes médicales de plus en plus nombreuses (Koch, Yersin, Simond…) permettent de mieux cibler les modalités de confinement, désormais associées à des mesures de désinfection. Le sanitaire se confond avec le médical et la science se substitue à l’empirisme.

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Pourquoi les épidémies restent-elles aussi présentes dans l’imaginaire collectif ?

« A peste, fame et bello libera nos Domine » [« Délivre-nous, Seigneur, de la faim, de la peste et de la guerre »]. Les historiens ont décrit les épidémies d’Ancien Régime comme étant une composante de crises plus larges : la famine comme cause (ou conséquence) de la peste, selon un schéma enchaînant accidents météorologiques, mauvaises récoltes, hausses des prix des produits agricoles et « crise de subsistance » sur laquelle se grefferait l’épidémie qui ravage des populations affaiblies ayant quitté les campagnes pour s’entasser dans les villes. La guerre, quant à elle, ne crée pas la peste, mais la propage au fil des déplacements des troupes. L’épidémie intervient généralement dans un contexte calamiteux, comme le signifie l’association symbolique avec les cavaliers de l’Apocalypse [peste, guerre, famine et mort].

En 1720, on l’a vu, c’est à un autre type de catastrophe moins naturelle que certains relieront la peste de Marseille : la faillite de Law [le système mis en place par le financier écossais s’écroule, entraînant émeutes et appauvrissement de la population]…

Ces épidémies ont-elles débouché sur davantage de coopération internationale ?

Oui, et c’est un paradoxe, car la définition de l’épidémie repose sur la circulation, alors que sa lutte suppose l’immobilisation. Or, la succession d’épidémies a bien eu pour conséquence importante de promouvoir la circulation de l’information au niveau international. Le développement de la coopération s’est concrétisé dans des échanges d’informations entre les institutions sanitaires locales, les administrations centrales, les corps intermédiaires (les parlements…) et même les négociants…

Au début, information et secret restent intimement mêlés, mais, peu à peu, on réalise qu’il est plus efficace de communiquer sur la situation réelle, plutôt que de vouloir sauvegarder des intérêts locaux en dissimulant la vérité ou en retardant sa reconnaissance publique. Les pouvoirs centraux accaparent le sujet et, à partir de 1851, conférences internationales et conventions diplomatiques, offices et bureaux spécialisés se développent, qui aboutiront en 1948 à la création de l’Organisation mondiale de la santé. Finalement, le secret initial débouche sur l’information : le cas est exemplaire.

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Pourtant, les épidémies sont assez rapidement oubliées lorsqu’elles cessent…

En effet, la mémoire des épidémies est courte, une fois la vague passée. Les grippes récentes en sont un parfait exemple : nous avons oublié les très meurtrières grippes asiatiques ou de Hongkong, alors qu’aujourd’hui, nous exigeons la transparence et l’accès aux chiffres délivrés quotidiennement, avec plus ou moins de rigueur.

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Cette capacité d’oubli fait que la réapparition brutale de la maladie fait toujours figure de coup de théâtre ; c’est le cas avec le Covid-19, comme ce fut le cas pour la peste en 1720. Le choléra réveillera pour sa part, en plein XIXe siècle, les peurs d’Ancien Régime, mais on lui reconnaît alors des causes liées à la misère et à l’insalubrité contre lesquelles on peut lutter.

L’une des façons de mesurer l’impact des épidémies est de prendre conscience des changements que leur disparition a engendrés. Pourquoi insistez-vous autant sur cet aspect ?

Parce que, en général, il n’est pas suffisamment souligné. Or, la disparition de l’épidémie, à partir des années 1722, pour la France, est un phénomène majeur de l’histoire de la peste : à l’exception du drame – spectaculaire mais isolé – de Marseille, un véritable changement a eu lieu quand le blocage induit par le retour cyclique du mal a sauté. Tant que celui-ci revenait, l’impuissance de la science obligeait, on l’a vu, à se tourner vers la religion pour lui demander la seule explication intelligible. Quand la maladie est devenue une simple possibilité au lieu d’être une quotidienne réalité, il est devenu possible de raisonner à son endroit et à la raison de triompher de l’irrationnelle maladie avant que la science n’apporte des connaissances valables.

L’importance de la cessation de la peste ne se situe pas seulement en ce domaine : elle affecte également la démographie, l’économie, les relations sociales, à tel point qu’il me semble possible d’estimer que sa cessation a eu au moins autant d’importance que sa durable présence, en permettant un renversement de conjoncture en tous domaines. A partir du moment où elle a cessé, le règne du bonheur et du progrès a été à l’ordre du jour des Lumières et le développement démographique a été ininterrompu.
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Sur le moment, toutes les conséquences que vous évoquez ont-elles été perçues ?

Non, on constate que le recul de l’épidémie, même quand il est devenu général, a constitué un phénomène peu conscient pour ses contemporains, peut-être parce qu’à côté des grandes mortalités ont persisté des pathologies plus discrètes comme la variole (ou, au XIXe siècle, la tuberculose) qui ont continué leurs ravages à bas bruit. Ces maladies plus longues ont permis l’émergence du « malade » comme mode de vie, là où l’épidémie ne laissait place qu’à des mourants.

A l’époque, le débat médical portait sur la contagiosité de la maladie, sans que la connaissance scientifique en soit plus avancée. L’Etat, de son côté, s’est emparé du problème au nom du bien public. L’important est que discours médical et discours politique ont pu progresser en se dégageant de la tutelle du discours ecclésial : même si ce dernier restait le véhicule de l’explication à laquelle on faisait référence et révérence, il n’occultait plus un raisonnement plus technique, médical ou sanitaire.

Il faut cependant attendre l’ère pastorienne pour que l’épidémie puisse être pensée selon un schéma rationnel…

Oui, et des changements essentiels s’en sont suivis quant à la prise en charge du phénomène épidémique : le vieux débat opposant ceux qui affirmaient le caractère contagieux à ceux qui le niaient a évidemment pris fin avec les découvertes de la microbiologie. Tout a changé, et les traditionnelles quarantaines ont alors été perçues comme une entrave à la liberté de déplacement et un préjudice pour le commerce.

Et pourtant, ces quarantaines ont resurgi à l’occasion de l’épidémie de Covid-19…

Effectivement, si bien qu’on ne peut plus seulement définir l’épidémie comme grand personnage archaïque de l’« histoire d’hier » ; elle a retrouvé sa place, sans doute durable, dans celle d’aujourd’hui. C’est aussi la grande question des choix et des tolérances de nos sociétés. Face au surgissement de ce mal invisible et inconnu dans un monde assuré de la toute-puissance de la science, la première difficulté consiste à intégrer la démarche sanitaire coutumière, empirique et collective, reposant sur la privation de liberté, à un système médical hospitalier, technique et humanitaire émotionnel qui entend soigner et guérir, y compris les plus faibles, que l’épidémie, quant à elle, s’attache à éliminer.

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Du coup, les chiffres n’ont plus la même valeur et le confinement a davantage pour fonction de gérer la capacité hospitalière en retardant l’épidémie que de la contenir drastiquement. Au final, l’incertitude demeure sur sa maîtrise, tandis que reste à décliner, dans les faits, le principe, avéré par ce confinement mondial, selon lequel l’humain doit avoir le pas sur l’économique.

;)

Petite bibliographie pour en savoir plus

Fléaux et société : de la Grande Peste au choléra, de Françoise Hildesheimer (Hachette, 1993).

Les épidémies dans l’histoire de l’homme, de Jacques Ruffié et Jean-Charles Sournia (Flammarion, 1984).

Les épidémies terrassées. Une histoire de pays riches, de Patrice Bourdelais (La Martinière, 2003).

Les Hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, 2 vol., de Jean-Noël Biraben (Mouton, 1975-1976).

Marseille ville morte, la peste de 1720, de Charles Carrière, Marcel Courdurié, et Ferréol Rebuffat (Maurice Garçon, 1968, nombreuses rééd.).

Les Chemins de la peste. Le rat, la puce et l’homme, de Frédérique Audoin-Rouzeau (Presses universitaires de Rennes, 2003).
Françoise Fressoz


Claude
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Re: Nos virus d’antan

Message par Claude » 26 mai 2020, 05:58

Pourquoi le masque est-il devenu un objet de consommation jetable

…… alors qu’il ne l’a pas toujours été ?


Tiens, tiens. Que voilà une question plutôt absente des débats sur le masque en temps de pandémie ! Une question comme le journal Le Monde aime en exposer.

;)

C’est ici : https://www.jardins-ici-on-seme.fr/view ... 78#p106578

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