GIEC
Posté : 04 août 2019, 08:34
PLANÈTE
CLIMAT
Les experts du climat se penchent sur le rôle crucial des terres
Réuni du 2 au 6 août à Genève, le GIEC va publier un rapport sur les enjeux d’une gestion durable des sols pour limiter le réchauffement planétaire et assurer la sécurité alimentaire.
Par Pierre Le Hir Publié le 02 août 2019 à 05h42 - Mis à jour le 02 août 2019 à 11h51
Temps de Lecture 4 min.
Après avoir alerté, en octobre 2018, sur les efforts sans précédent à accomplir pour contenir la hausse des températures à 1,5 °C par rapport à la période préindustrielle – alors même que les engagements actuels des Etats laissent prévoir une augmentation de 3 °C à la fin du siècle –, il s’apprête à publier, jeudi 8 août, un rapport spécial sur le changement climatique et les terres. Celui-ci sera suivi, en septembre, d’un autre rapport, cette fois sur les océans et la cryosphère (calottes polaires, glaciers de montagne et banquise).
Le rapport, qui doit être adopté lors de la prochaine session du GIEC, réuni à Genève du vendredi 2 au mardi 6 août, sera accompagné d’un « résumé à l’intention des décideurs », approuvé ligne à ligne par les représentants des 196 Etats membres de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. C’est cette synthèse, fruit d’un consensus qui conduit parfois à gommer ou à édulcorer des formulations contrariant les intérêts de certains pays – mais sans jamais remettre en cause les fondements scientifiques –, qui devra ensuite guider l’action des gouvernements.
Une dimension très politique
Plus explicitement peut-être que pour d’autres travaux du groupe d’experts, ce résumé revêtira une dimension très politique.
La question de l’affectation et de l’usage des terres est en effet étroitement liée à celles des conditions de vie et de subsistance des populations, des modèles de développement et de consommation, des pratiques agricoles et sylvicoles… Elle touche à de puissants intérêts économiques, notamment ceux des filières agroalimentaire et énergétique, en même temps qu’aux choix de pays qui, comme le Brésil de Jair Bolsonaro où la déforestation est en forte recrudescence, font primer l’exploitation de leurs ressources naturelles sur la préservation de leur patrimoine forestier.
Le constat de départ est connu. « Deux milliards d’hectares de terres sont aujourd’hui dégradés dans le monde, du fait des activités humaines et du réchauffement climatique », expliquait en juin, dans un entretien au Monde, Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, dont la prochaine conférence des parties se tiendra du 2 au 13 septembre à New Delhi, en Inde.
« Tampon climatique »
Or, les sols, avec leur couvert végétal et boisé, jouent un rôle-clé dans l’atténuation du réchauffement planétaire. Selon le consortium scientifique international du Global Carbon Project, ils absorbent près de 30 % des émissions humaines de CO2, le reste partant dans l’atmosphère, pour les deux tiers, et dans les océans, pour un tiers. Il est donc impératif de veiller au bon état de ces puits de carbone.
Une étude, parue le 29 juillet dans la revue Nature Plants, fait à cet égard état d’un résultat inquiétant : dans les forêts tropicales, sur la période 2010-2017, les pertes de carbone dues à la déforestation et au dépérissement provoqué par le phénomène El Niño ont été quasiment équivalentes au stock de carbone accumulé dans les arbres. Ces forêts sont donc en train de perdre leur fonction de « tampon climatique ».
Mais l’usage des terres est aussi source de gaz à effet de serre. Près du quart des émissions mondiales est imputable à la production agroalimentaire, qui mobilise plus d’un tiers de la surface émergée du globe, pour les cultures et l’élevage, en même temps qu’elle consomme près de 75 % des ressources en eau douce.
Comment tout à la fois limiter l’impact du changement climatique sur les sols et préserver, ou même renforcer leur capacité à stocker du carbone ? Dans son rapport d’octobre 2018, le GIEC notait que tous les scénarios permettant de ne pas dépasser 1,5 °C de réchauffement supposaient de retirer une partie du CO2 déjà relâché dans l’atmosphère – ce qu’on appelle des « émissions négatives ».
Voie étroite
Plusieurs options sont possibles, comme le reboisement à très grande échelle ou encore un recours massif à la « bioénergie ». L’idée serait de faire pousser des arbres ou des plantes à croissance rapide afin qu’ils captent du CO2, puis de les brûler dans des centrales thermiques, de récupérer le dioxyde de carbone dans les fumées et, enfin, de le stocker en profondeur, sur terre ou en mer.
C’est donc une voie étroite qui s’offre aux décideurs politiques – du fait de leur incapacité à réduire jusqu’ici les émissions de gaz à effet de serre – pour mettre en œuvre une gestion durable des terres, capable de nourrir la planète en même temps que de la prémunir contre une flambée des températures. A l’avance, des ONG comme le Climate Action Network appellent à « clairement positionner la protection de la nature comme une réponse décisive à l’urgence climatique ».
Pierre Le Hir
CLIMAT
Les experts du climat se penchent sur le rôle crucial des terres
Réuni du 2 au 6 août à Genève, le GIEC va publier un rapport sur les enjeux d’une gestion durable des sols pour limiter le réchauffement planétaire et assurer la sécurité alimentaire.
Par Pierre Le Hir Publié le 02 août 2019 à 05h42 - Mis à jour le 02 août 2019 à 11h51
Temps de Lecture 4 min.
Après avoir alerté, en octobre 2018, sur les efforts sans précédent à accomplir pour contenir la hausse des températures à 1,5 °C par rapport à la période préindustrielle – alors même que les engagements actuels des Etats laissent prévoir une augmentation de 3 °C à la fin du siècle –, il s’apprête à publier, jeudi 8 août, un rapport spécial sur le changement climatique et les terres. Celui-ci sera suivi, en septembre, d’un autre rapport, cette fois sur les océans et la cryosphère (calottes polaires, glaciers de montagne et banquise).
Cette nouvelle expertise, qui a mobilisé plus de cent scientifiques de cinquante-deux pays, porte, selon son intitulé complet, sur « les changements climatiques, la désertification, la dégradation des terres, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres ». C’est dire si elle embrasse un domaine aussi complexe, par ses multiples interactions, que crucial.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Climat : il y a un espoir de limiter le réchauffement mais au prix d’un sursaut international
Le rapport, qui doit être adopté lors de la prochaine session du GIEC, réuni à Genève du vendredi 2 au mardi 6 août, sera accompagné d’un « résumé à l’intention des décideurs », approuvé ligne à ligne par les représentants des 196 Etats membres de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. C’est cette synthèse, fruit d’un consensus qui conduit parfois à gommer ou à édulcorer des formulations contrariant les intérêts de certains pays – mais sans jamais remettre en cause les fondements scientifiques –, qui devra ensuite guider l’action des gouvernements.
Une dimension très politique
Plus explicitement peut-être que pour d’autres travaux du groupe d’experts, ce résumé revêtira une dimension très politique.
La question de l’affectation et de l’usage des terres est en effet étroitement liée à celles des conditions de vie et de subsistance des populations, des modèles de développement et de consommation, des pratiques agricoles et sylvicoles… Elle touche à de puissants intérêts économiques, notamment ceux des filières agroalimentaire et énergétique, en même temps qu’aux choix de pays qui, comme le Brésil de Jair Bolsonaro où la déforestation est en forte recrudescence, font primer l’exploitation de leurs ressources naturelles sur la préservation de leur patrimoine forestier.
Le constat de départ est connu. « Deux milliards d’hectares de terres sont aujourd’hui dégradés dans le monde, du fait des activités humaines et du réchauffement climatique », expliquait en juin, dans un entretien au Monde, Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, dont la prochaine conférence des parties se tiendra du 2 au 13 septembre à New Delhi, en Inde.
« C’est un processus qui s’accélère et qui touche tous les continents, ajoutait-il. Cette situation affecte 3 milliards de personnes – à commencer par leur accès aux ressources alimentaires et à l’eau – qui sont parmi les plus pauvres et les plus vulnérables. » La hausse continue des températures ne va qu’amplifier ce phénomène, provoquant, comme on l’observe déjà, une intensité et une fréquence accrues des pluies torrentielles érodant les sols, des vagues de chaleur et des sécheresses.Article réservé à nos abonnés Lire aussi « La dégradation des terres est un enjeu vital pour l’humanité »
« Tampon climatique »
Or, les sols, avec leur couvert végétal et boisé, jouent un rôle-clé dans l’atténuation du réchauffement planétaire. Selon le consortium scientifique international du Global Carbon Project, ils absorbent près de 30 % des émissions humaines de CO2, le reste partant dans l’atmosphère, pour les deux tiers, et dans les océans, pour un tiers. Il est donc impératif de veiller au bon état de ces puits de carbone.
Une étude, parue le 29 juillet dans la revue Nature Plants, fait à cet égard état d’un résultat inquiétant : dans les forêts tropicales, sur la période 2010-2017, les pertes de carbone dues à la déforestation et au dépérissement provoqué par le phénomène El Niño ont été quasiment équivalentes au stock de carbone accumulé dans les arbres. Ces forêts sont donc en train de perdre leur fonction de « tampon climatique ».
Mais l’usage des terres est aussi source de gaz à effet de serre. Près du quart des émissions mondiales est imputable à la production agroalimentaire, qui mobilise plus d’un tiers de la surface émergée du globe, pour les cultures et l’élevage, en même temps qu’elle consomme près de 75 % des ressources en eau douce.
Comment tout à la fois limiter l’impact du changement climatique sur les sols et préserver, ou même renforcer leur capacité à stocker du carbone ? Dans son rapport d’octobre 2018, le GIEC notait que tous les scénarios permettant de ne pas dépasser 1,5 °C de réchauffement supposaient de retirer une partie du CO2 déjà relâché dans l’atmosphère – ce qu’on appelle des « émissions négatives ».
Voie étroite
Plusieurs options sont possibles, comme le reboisement à très grande échelle ou encore un recours massif à la « bioénergie ». L’idée serait de faire pousser des arbres ou des plantes à croissance rapide afin qu’ils captent du CO2, puis de les brûler dans des centrales thermiques, de récupérer le dioxyde de carbone dans les fumées et, enfin, de le stocker en profondeur, sur terre ou en mer.
Mais les climatologues mettaient en garde, en octobre, sur le fait que « le boisement et la bioénergie peuvent entrer en compétition avec d’autres usages des terres et avoir des impacts importants sur les systèmes agricoles et alimentaires, la biodiversité et d’autres fonctions et services des écosystèmes. » En d’autres termes, convertir de vastes étendues du globe en « pompes à CO2 » serait à haut risque pour la sécurité alimentaire, la biodiversité et les communautés locales.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Climat : le pari des « émissions négatives »
C’est donc une voie étroite qui s’offre aux décideurs politiques – du fait de leur incapacité à réduire jusqu’ici les émissions de gaz à effet de serre – pour mettre en œuvre une gestion durable des terres, capable de nourrir la planète en même temps que de la prémunir contre une flambée des températures. A l’avance, des ONG comme le Climate Action Network appellent à « clairement positionner la protection de la nature comme une réponse décisive à l’urgence climatique ».
Pierre Le Hir