et le bio qui a des ambitions.
Les serres chauffées, emblèmes d’une industrialisation du bio
En acceptant certaines pratiques, comme le chauffage des serres pour la production de fruits et légumes bio à contre-saison, le risque est de perdre la confiance des consommateurs.
Par Laurence Girard
La FNSEA, en première ligne pour défendre le bio. L’évènement est assez rare pour être souligné. Ce syndicat agricole qui, jusqu’à présent, n’était guère disert sur la question, a choisi de faire front commun avec d’autres acteurs. Autour de la table, rassemblés sous l’égide des chambres d’agriculture, mercredi 29 mai, la FNSEA, donc, mais aussi l’interprofession des fruits et légumes Interfel, le bras armé des coopératives Coop de France, et leur représentant légumier Felcoop. L’enjeu : défendre une certaine idée de l’agriculture biologique, illustrée par l’usage des serres chauffées pour la production de fruits et légumes bio.
Face à cette coalition, la Fédération nationale d’agriculture biologique des régions de France (FNAB), le Synabio (Syndicat des transformateurs et distributeurs biologiques), Biocoop et la Confédération paysanne s’opposent, quant à eux, à cette tolérance, affirmant qu’elle concourt à une « industrialisation du bio ». Ils estiment que « le recours sans restriction au chauffage des serres pour la production de fruits et légumes bio à contre-saison est en contradiction totale avec le règlement biologique européen ».Article réservé à nos abonnés Lire aussi
La grande bascule vers le bio de l’agriculture française
Fruits et légumes de saison
La question est débattue depuis plusieurs mois. La FNAB a, en effet, déposé une requête auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) pour demander l’interdiction du chauffage des serres en bio, il y a un an. Après plusieurs reports, la question devrait être tranchée lors d’un vote du Comité national de l’agriculture biologique (au sein de l’INAO), le 11 juillet. En attendant le verdict, le ton monte et les esprits s’échauffent. Avec une question centrale : comment interpréter le règlement européen ? Ce dernier stipule que la production biologique doit respecter le cycle des saisons et faire un usage raisonné de l’énergie.
Tout est donc dans la notion de fruits et légumes de saison. En l’absence de référence explicite à l’interdiction du chauffage pour étendre les durées de production, dans le cahier des charges européen, des premières serres chauffées ont été installées. Pour l’instant à toute petite échelle en France, soit 0,2 % des surfaces en légumes bio en 2017, selon les chiffres donnés par les chambres d’agriculture. Mais la pression monte sur la production. Et des projets de grande ampleur pourraient voir le jour.
« Il y a un développement de la consommation de produits bio, il faut accompagner les agriculteurs pour répondre à cette demande », estime Claude Cochonneau, président des chambres d’agriculture. La grande distribution, en particulier, souhaite avoir des tomates bio le plus longtemps possible en rayon, et d’origine française de préférence. Or, comme le met en exergue Interfel, aujourd’hui 78 % des tomates bio vendues en grande surface sont importées, et 70 % des concombres. Sachant qu’une tomate du sud de la France poussée dans une serre non chauffée peut arriver sur le marché en mai. Il faut attendre juin pour les premières tomates de pleine terre, et la récolte se poursuit jusqu’en octobre.La grande distribution souhaite avoir
des tomates bio le plus longtemps possible
en rayon, et d’origine française de préférence
Dérives industriellesLire aussi Bio : la grande distribution croque la moitié de la part du gâteau
« Les règles européennes sont un peu floues. Il faut peut-être les clarifier, mais elles doivent s’appliquer à tout le monde », affirme M. Cochonneau. Bruxelles met justement l’ultime main à son nouveau projet de règlement qui encadrera la « bio européenne » à partir de 2021. Les grandes lignes du texte ont été adoptées en mai 2018. Reste à négocier les règles détaillées avec l’objectif de présenter une version finalisée mi-2020.
Plusieurs sujets ont amené la FNAB à tirer la sonnette d’alarme, s’inquiétant des dérives industrielles possibles avec le changement d’échelle du bio. Elle souhaitait, par exemple, limiter la taille des élevages de poules pondeuses, quand certaines exploitations italiennes atteignent une capacité de 100 000 volailles. Elle défend aussi le modèle de l’élevage porcin bio français sur paille et non sur caillebotis. Sur le sujet des cultures sous serre, la future règle européenne devrait mettre hors normes les cultures en bac ou sans lien avec le sol. Les pays nordiques, qui justifiaient ce modèle pour des raisons climatiques, devraient toutefois bénéficier d’une période confortable de dérogation.
Toutes ces discussions ont lieu alors que la grande distribution pousse au développement rapide de la bio pour satisfaire la demande. Le risque d’une industrialisation de la production étant de perdre la confiance du consommateur si cette agriculture ne correspond plus à ses attentes.