Textes, beaux textes

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Claude
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Re: Textes, beaux textes

Message par Claude » 13 juin 2023, 22:23

Devinerez-vous qui a écrit ceci :
.
« Mon dieu, respirer le tilleul quand il est un volcan d’abeilles,
un buisson de fleurs rousses, le rival de l’oranger,
l’insidieux amant, le pollen en pluie d’or, n’est-ce pas assez ?
et bouilli, il lui incombe encore de guérir nos fièvres ! »

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Re: Textes, beaux textes

Message par Chichinette 11 » 13 juin 2023, 23:40

Je suis d'une nullité crasse et d'une considérable inculture en matière de poésie, de poètes et d'auteurs anciens. Je n'ai lu aucun classique, même à l'école que j'ai quittée très tôt, alors ce sera sans moi.

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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 14 juin 2023, 06:07

Devinerez-vous qui a écrit ceci :
.
« Mon dieu, respirer le tilleul quand il est un volcan d’abeilles,
un buisson de fleurs rousses, le rival de l’oranger,
l’insidieux amant, le pollen en pluie d’or, n’est-ce pas assez ?
et bouilli, il lui incombe encore de guérir nos fièvres ! »

C'est pas moi. :D

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Re: Textes, beaux textes

Message par xyla56 » 14 juin 2023, 08:31

moi non plus!

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Re: Textes, beaux textes

Message par Claude » 14 juin 2023, 12:52

Il s’agit de Colette ! Le tilleul est un roi chez les mellifères.

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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 14 juin 2023, 14:53

Mince alors! Moi qui suis si colettière, j'aurais pu deviner ou au moins supputer.
Réflexion de ma cousine quand je disais "je suppute que…":
"Y'a pas de sot métier". :lol:

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Re: Textes, beaux textes

Message par Claude » 13 août 2023, 15:57


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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 13 août 2023, 16:21

Merci Claude d'avoir transféré le texte de Colette que j'ai mis dans "Je bouquine".
Tu te doutes que j'avais oublié ce topic ci… non? Rhoooooo…

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Re: Textes, beaux textes

Message par Chichinette 11 » 13 août 2023, 17:52

Ça aurait été aussi bien de le recopier :
Message par plumee » 13 août 2023 15:34

Encore du Colette, dans "Les vrilles de la vigne - En baie de Somme".


"Beau temps. On a mis tous les enfants à cuire ensemble sur la plage. Les uns rôtissent sur le sable sec, les autres mijotent au bain-marie dans les flaques chaudes.
La jeune maman, sous l’ombrelle de toile rayée, oublie délicieusement ses deux gosses et s’enivre, les joues chaudes, d’un roman mystérieux, habillé comme elle de toile écrue…
- Maman !
- …
- Maman, dis donc, maman !
Son gros petit garçon, patient et têtu, attend, la pelle aux doigts, les joues sablées comme un gâteau…
- Maman, dis donc, maman…
Les yeux de la maman se lèvent enfin, hallucinés et elle jette, dans un petit aboiement excédé :
- Quoi ?
- Maman, Jeanine est noyée.
- Qu’est-ce que tu dis ?
- Jeanine est noyée, répète le bon gros petit garçon têtu.
Le livre vole, le pliant tombe…
- Qu’est-ce que tu dis, petit malheureux ? Ta sœur est noyée ?
- Oui, elle était là tout à l’heure, elle n’y est plus. Alors, je pense qu’elle est noyée.
La jeune maman tourbillonne comme une mouette et va crier… quand elle aperçoit la « noyée », au fond d’une cuve de sable, ou elle fouit comme un ratier…
- Jojo, tu n’as pas honte d’inventer des histoires pour m’empêcher de lire ? Tu n’auras pas de chou à la crème à quatre heures !
Le bon gros écarquille des yeux candides.
- Mais, c’est pas pour te taquiner, maman ! Jeanine était plus là, alors je croyais qu’elle était noyée.
- Seigneur ! Il le croyait ! Et c’est tout l’effet que ça te faisait ?
Consternée, les mains jointes, elle contemple son gros petit garçon, par-dessus l’abîme qui sépare une grande personne civilisée d’un petit enfant sauvage."

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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 13 août 2023, 18:38

Chichinette, tu as raison.
J'ai d'ailleurs failli le faire mais hésité à marcher sur les plates-bandes de Claude.

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Re: Textes, beaux textes

Message par Claude » 13 août 2023, 19:18

Dans mes plates-bandes, pas trace de tes pas.
Plume si légère. Légère comme une plume.

(En alexandrins)

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Re: Textes, beaux textes

Message par Claude » 14 août 2023, 16:08

Nombril en forme de cinq
Frères Jacques



Quel poète dira vos formes tant diverses,
Nombrils? Nombrils corrects, nombrils à la renverse
Nombrils en long des faméliques,
Nombrils en large des grosses dames apoplectiques,
Nombrils en porte cochère
Comme en ont trop souvent les accortes bouchères,
Nombrils troublants des folles filles de l'Espagne,
Nombrils gras et béats des curés de campagne,
Nombrils effarés des timides épouses,
Nombrils des gros rentiers, larges comme des bouses,
Nombrils rusés, nombrils malins
Qui avez l'oeil américain;
Nombrils, moulés ainsi que de petites crottes,
Qui parez l'abdomen des vierges Hottentotes;
Nombrils mi-clos, nombrils entrebâillés
(Il faut pourtant qu'une porte soit ouverte ou fermée),
Nombrils en ronds, nombrils en boule,
Nombrils gros comme des ampoules,
Et vous, nombrils en cul-de-poule!
En l'avril d'un babil puéril et subtil,
Ah! qui vous chantera, nombrils?


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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 26 août 2023, 15:54

Frères Jacques et les nombrils: je les vois et je préfèrerais les voir chanter ça.

Pour ma part, encore du Colette.

COLETTE
Dans « Journal à rebours »
A propos de l’écriture

« Mes six ans savaient lire mais ne voulaient pas apprendre à écrire.
Non, je ne voulais pas écrire.
Quand on peut pénétrer dans le royaume enchanté de la lecture, pourquoi écrire ?
Cette répugnance que m’inspirait le geste d’écrire, n’était-elle pas un conseil providentiel ?
Il est un peu tard pour que je m’interroge là-dessus. Ce qui est fait est fait.
Mais dans ma jeunesse, je n’ai jamais, jamais désiré écrire.
Non, je ne me suis pas levée la nuit en cachette pour écrire des vers au crayon sur le couvercle d’une boîte
à chaussures !
Non, je n’ai pas jeté au vent d’ouest et au clair de lune, des paroles inspirées !
Non, je n’ai pas eu 19 ou 20 pour un devoir de style, entre douze et quinze ans !
Car je sentais, chaque jour mieux, je sentais que j’étais justement faite pour ne pas écrire.
Je n’ai jamais envoyé à un écrivain connu des essais qui promettaient un joli talent d’amateur ; pourtant, aujourd’hui, tout le monde le fait puisque je ne cesse de recevoir des manuscrits.
J’étais donc bien la seule de mon espèce, la seule mise au monde pour ne pas écrire.
Quelle douceur j’ai pu goûter à une telle absence de vocation littéraire !
Mon enfance, ma libre et solitaire adolescence, toutes deux préservées du souci de m’exprimer, furent toutes deux occupées uniquement de diriger leurs subtiles antennes vers ce qui se contemple, s’écoute, se palpe et se respire.
Déserts limités et sans périls : empreintes sur la neige de l’oiseau et du lièvre, étangs couverts de glace, ou voilés de chaude brume d’été ; assurément, vous me donnâtes autant de joies que j’en pouvais contenir.
Dois-je nommer mon école une école ? Non, mais une sorte de rude paradis ou des anges ébouriffés cassaient du bois le matin, pour allumer le poêle et mangeaient, en guise de manne céleste, d’épaisses tartines de haricots rouges, cuits dans la sauce au vin, étalés sur le pain gris que pétrissaient les fermières…
Point de chemin de fer dans mon pays natal, point d’électricité, point de collège proche ni de grande ville.
Dans ma famille, point d’argent, mais des livres. Point de cadeaux, mais de la tendresse.
Point de confort, mais la liberté.
Aucune voix n’emprunta le son du vent pour me glisser, avec un petit souffle froid dans l’oreille, le conseil d’écrire et d’écrire encore… de ternir, en écrivant, ma bondissante ou tranquille perception de l’univers vivant.
J’avais d’abord pensé que je ferais rire en contant l’aventure de l’écrivain qui ne voulait pas écrire.
Et voilà que je m’avise en finissant que c’est une aventure mélancolique.
Car, lorsqu’à dix-sept ans, l’amour arriva dans ma vie, malgré l’amour et malgré les dix-sept ans, je n’eus pas non plus envie de l’écrire, ni de le décrire et je pensais que l’amour peut se passer de lettres d’amour, réfléchir sur lui-même dans le silence et se satisfaire d’une souveraine présence au lieu d’écrire son propre roman.
Pourtant, ma vie s’est passée à écrire…
Née dans une famille sans fortune, je n’avais appris aucun métier. Je savais grimper, siffler, courir, mais personne n’est venu me proposer une carrière d’écureuil, d’oiseau ou de biche.
Le jour où la nécessité me mit une plume dans la main, et qu’en échanger des pages que j’avais écrites, on me donna un peu d’argent, je compris qu’il me faudrait chaque jour, lentement, docilement écrire, patiemment concilier le son et le nombre, me lever tôt par préférence, me coucher tard par devoir.
Un jeune lecteur, une jeune lectrice n’ont pas besoin d’en savoir davantage sur un écrivain caché, casanier et sage, derrière son roman voluptueux.
C’est une langue bien difficile que le français.
A peine écrit-on depuis quarante-cinq ans qu’on commence à s’en apercevoir. »
Modifié en dernier par plumee le 27 août 2023, 11:12, modifié 1 fois.

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Re: Textes, beaux textes

Message par Marc » 27 août 2023, 08:41

Y a qu'à demander !


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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 27 août 2023, 11:16

Merci Marc!
J'apprécie la performance et que du sophistiqué soit fait à partir de quasiment rien.
Mais boff, je n'apprécie qu'à moitié: je pense que c'est à cause du texte que je trouve facile et faible.

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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 04 sept. 2023, 17:09

Encore un texte de Colette, qui est le début de son livre "La naissance du jour".
Le cactus rose.

COLETTE
« La naissance du jour »
Lettre de la mère adressée au mari de Colette


« Monsieur,
Vous me demandez de venir passer une huitaine de jours chez vous, auprès de ma fille que j’adore.
Vous, qui vivez auprès d’elle, vous savez combien je la vois rarement, combien sa présence m’enchante et je suis touchée
que vous m’invitiez à venir la voir.
Pourtant, je n’accepterai pas votre aimable invitation, du moins pas maintenant. Voici pourquoi : mon cactus rose va probablement fleurir.
C’est une plante très rare, que l’on m’a donnée et qui, m’a-t-on dit, ne fleurit sous nos climats, que tous les quatre ans.
Or, je suis déjà une très vieille femme et, si je m’absentais pendant que mon cactus rose va fleurir, je suis certaine
de ne pas le voir refleurir une autre fois…
Veuillez donc accepter, Monsieur, avec mon remerciement sincère, l’expression de mes sentiments distingués et de mon regret. »

Ce billet, signé « Sidonie Colette, née Langlois » fut écrit par ma mère à l’un de mes maris, le second. L’année d’après, elle mourait,
âgée de soixante-dix sept ans.
Au cours des heures où je me sens inférieure à tout ce qui m’entoure, menacée par ma propre médiocrité,
effrayée de découvrir qu’un muscle perd sa vigueur, un désir sa force, une douleur, la trempe effilée de son tranchant,
je puis pourtant me redresser et me dire : « Je suis la fille de celle qui écrivit cette lettre – cette lettre et tant d’autres, que j’ai gardées.
Celle-ci, en dix lignes, m’enseigne qu’à soixante seize ans, elle projetait et entreprenait des voyages, mais que l’éclosion possible,
l’attente d’une fleur tropicale suspendait tout et faisait silence même dans son cœur destiné à l’amour.
Je suis la fille d’une femme qui, dans un petit pays honteux, avare et resserré, ouvrit sa maison villageoise aux chats errants,
aux chemineaux et aux servantes enceintes.

Je suis la fille d’une femme qui, vingt fois désespérée de manquer d’argent pour autrui, courut, sous la neige fouettée de vent,
crier de porte à porte, chez des riches, qu’un enfant, près d’un âtre indigent, venait de naître sans langes, sur de défaillantes mains nues…
Puissé-je n’oublier jamais que je suis la fille d’une telle femme qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d’un cactus
sur une promesse de fleur, une telle femme qui ne cessa elle-même d’éclore, infatigablement, pendant trois quarts de siècle…

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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 10 sept. 2023, 06:28

Encore et toujours Colette!
COLETTE- Le serpent
Dans « Journal à rebours »

« Un serpent ! Un serpent dans la cuisine ! »
J’accours. L’enflure méridionale a, cette fois, respecté la vérité : il y a un serpent dans la cuisine et même, sur la table de la cuisine, une belle couleuvre un peu rousse, à tête fine.
Apportée dans une panerée d’oignons, le bizarre est qu’elle ne veut pas s’en aller.
Sans armes, elle nous menace – disons, moins modestement qu’elle me menace.
Elle a marqué mon entrée par un sursaut d’attention et de fierté. Maintenant, elle me suit, jusqu’au seuil.
Au seuil, elle rebrousse chemin, enlace un pied de la table et, sur les casiers en damier de la toile cirée, joue sa chance, se tord en chiffres et en lettres.
Je lui tends un doigt trempé dans le lait. Elle le lèche d’un pistil bifide et noir, puis le dédaigne. Mais, dressée d’une demi-coudée, elle me regarde à la figure. O croisement des regards !
Lien que la bête tente de nouer et que l’homme toujours dénoue !
Comme le chat, comme le cheval et le chien, la couleuvre connait, interroge la fenêtre de l’œil. Elle quête, elle comprend. Bien qu’elle m’ait sacrée personne d’importance, que puis-je faire pour elle ?
« Ecoute, couleuvre, il faut pourtant qu’on épluche les oignons, qu’on hache la viande qui va les farcir, tu vois bien que la cuisinière refuse de régner ici en même temps que toi. »
Cela, c’est de la littérature humaine. Nous cédons tous, plus ou moins, au besoin de bêtifier avec l’enfant et l’animal. Ni l’un ni l’autre ne s’y laisse prendre.
Quand je veux saisir la couleuvre par son col délicat, elle m’échappe, écrit avec irritation, cinq, cinq, zéro ou bien S,O,W sur la toile cirée et attache aux miens ses petits yeux dorés.
A la fin, je lui tends une canne, qu’elle tâte, accepte et change en caducée ; alors, je porte le tout dans le jardin. Mais là, elle est prise de nostalgie, gravit en courant, si j’ose ainsi m’exprimer, les deux marches et remonte sur la table. Que sa vitesse nous est étrange ! … La moitié antérieure de son corps se précipite, semble jaillir d’elle-même, se crée, croit, quand l’autre moitié attend encore de se mettre en marche pour la rejoindre. A deux reprises, la sociable couleuvre rousse reconquiert la cuisine.
Il me faut la pousser, la balayer comme une épluchure.
Encore ne se résout-elle pas à s’éloigner, et elle s’établit dans une touffe d’asters violets, au pied desquels le joint desserré d’une prise d’eau entretient une petite flaque, cernée d’ailes. Papillons, libellules, longs hyménoptères dégingandés, sans compter les hôtes des laitues, voilà l’affaire de la couleuvre.
« Eh ! Qu’elle reste, dit ma cuisinière attendrie. Je l’appellerai Malvina.»

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Re: Textes, beaux textes

Message par Marc » 10 sept. 2023, 07:42

Les émotions d"une couleuvre vue par le porte-plume de Colette. La description est bien faite, cependant une couleuvre ne se comporte pas de la sorte, surtout une couleuvre et surtout sur un panier d'oignons !!!! mais c'est Colette, alors....Pour la petite histoire, la couleuvre décrite par Colette est sûrement la couleuvre d'Esculape, qui est grande comme de nombreuses espèces de couleuvre, jusqu'à 2 mètres...Les couleuvres et vipères sont toutes protégées et si vous tuez l'animal et détruisez son habitat, il peut vous en coûter 150000€ d'amende et 2ans de prison...eh oui ! heureusement que Colette n'a pas tué la belle !

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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 11 sept. 2023, 15:05

heureusement que Colette n'a pas tué la belle !
Colette, tuer un animal? Ho la!

A propos de ta suspicion de fiction à propos de la couleuvre dans la cuisine:
j'ai toujours pensé que, dans ce genre d'écrit, Colette était la peintre de la vie quotidienne.

Comme par hasard, ce matin, en relisant des passages du livre "Près de Colette", écrit par son dernier mari Maurice Goudeket,
je lis çà:

"Je cherche Colette dans ses livres, avec la chance insigne de pouvoir, à chaque page, l'y trouver.
Parce qu'elle n'a rien dépeint qu'elle n'eût observé.
Parce qu'elle considérait les créatures et les choses sans l'intermédiaire d'aucune idée reçue, jamais œuvre n'a mieux reflété son auteur."

J'ai lu un autre témoignage d'une couleuvre dans une cuisine, (donné par un peintre gardois je crois, qui en avait fait un ex-voto).
Elle était devenue quasiment familière et, comme un chat, venait boire du lait dans une assiette.
Hélas! Un jour, un beau-frère ne trouvant pas sa belle-sœur qui était au jardin, est tombé sur cette couleuvre dans la cuisine
et, avec un balai, l'a tuée. Désespoir de la belle-sœur:
"A tua moun ser! A tua moun ser".
Comme je la comprends…

NB: Je ne garantis pas l'orthographe de l'occitan. Ege dira mieux.

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Re: Textes, beaux textes

Message par ege » 07 déc. 2023, 18:25


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Re: Textes, beaux textes

Message par Marie_May » 09 déc. 2023, 10:40

Non, mais ça semble intéressant.

PatriciAndree
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Re: Textes, beaux textes

Message par PatriciAndree » 09 déc. 2023, 13:25

J'aime beaucoup Colette mais là rien qu'à lire le texte je frissonne de frayeur.

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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 09 déc. 2023, 16:35

Non, mais j'ai calé de suite: plus envie de comprendre.
J'aime beaucoup Colette mais là rien qu'à lire le texte je frissonne de frayeur.
Je suis toujours étonnée mais pas surprise que tant de gens "frissonnent de frayeur", dès qu'il s'agit d'un serpent.
J'étais comme tout le monde étant enfant, à tel point que la page du vieux dictionnaire Larousse où ils étaient dessinés, me hérissait
aussi, j'évitais soigneusement de la toucher!
Puis j'ai appris comment fonctionnaient ces bêtes. Que déjà, elles avaient une utilité en nous débarrassant de pas mal de rats.
Appris que les vipères sont très casanières: qu'il suffit d'être vigilant quand on est sur un territoire possible: herbes sèches, rochers, tas de cailloux.
Des endroits où elles sortent pour se chauffer le râble quand le temps le permet.
C'est sûr que, comme tout le monde, je n'aime guère "tomber dessus", mais j'ai dompté ma peur en apprenant de plus en plus de choses sur ces bêtes
et donc, appris à les côtoyer, c'est à dire, à les repérer et leur fiche la paix.
J'ai initié mes enfants très jeunes à ce savoir, notamment à distinguer les vipères des couleuvres, y compris celle de Montpellier qui peut être agressive.
Ceci dit, je n'ai pas particulièrement de plaisir à me retrouver surprise devant un serpent! Ah.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Couleuvre_de_Montpellier

Ici, nous avons la couleuvre d'Esculape. Un très long serpent arboricole qui peut grimper jusqu'à des 15m pour dénicher des oiseaux.
Mon beau-fils en a trouvé une, en plein hiver, qui hibernait entre des bottes de foin, plus d'1m50 de long.
Et moi, j'en ai vu une petite (bien un mètre quand même!), repéré par mon Doudou Chat Roux, sur un tout petit frêne au bord du chemin.
Scène comique de ce chat qui essayait d'atteindre la couleuvre depuis la branchouillette de l'arbre voisin, qui lui servait alors de balançoire.
Pendant que la couleuvre, à 1m à peine de lui, regardait l'acrobate avec beaucoup d'attention. :lol:
Pour plus de sécurité, elle avait fini par s'enrouler autour de sa mini branche façon volubilis!
Finalement, mon chat a démissionné. Mais qu'aurait-il fait de ce serpent?
C'était peut-être plus un jeu qu'autre chose…

https://fr.wikipedia.org/wiki/Couleuvre_d%27Esculape


Ceci dit, il y a des décennies, à mon ancienne maison en pleine campagne, mon potager se trouvait au bout de la cour, le long d'un mur en grosses pierres,
qui longeait la route. Une petite bande de 100m2, fermée par un portillon en bois, juste au bord.On ouvrait le portillon: à droite, contre le mur de la largeur, côté nord,
l'aire de compostage et à gauche, contre le mur de la route: une petite haie de lilas qui protégeait (un peu!) du vent.
J'avais découvert qu'une couleuvre venait dans la cour et plantonnait au pied du bâtiment en pierre du voisin, la tête bien dressée, parce que des oiseaux
avaient fait leur nid tout en haut, dans un trou du mur.
Notre demoiselle avait été attirée par le piaillement de la marmaille et attendait sans doute que l'un d'eux tombe! Pas bête, la bête!

Sinon, quand le soleil donnait à plein, elle s'installait devant la haie de lilas, plein sud, bien au chaud.
Vous l'aurez compris, je suis quelqu'un de vif et je l'étais bien plus encore.
J'allais donc au potager en traversant la cour au pas de course et je faisais voler le portillon!
Nous nous sommes souvent fait peur elle et moi! Je pense qu'elle était là parce que le tas de compost attirait des rats.
Elle avait donc le couvert et chauffage tout ensemble. Cool!
Par contre, un jour, contre ce mur, un peu plus loin, nous avons vu une vipère et comme nos enfants étaient encore petits,
nous l'avons tuée. Je n'avais pas très envie non plus de la découvrir sous mes mains entre deux salades ou dans une touffe de thym.
Anecdote: nous devions aller faire des courses en laissant les enfants à leur grand-mère.
Avant de partir, j'ai montré la vipère morte à mon fils. Il devait avoir 5 ou 6 ans, en lui disant que s'il le voulait, il pouvait la mettre au compost,
en la prenant par la queue.
Ma mère nous a raconté qu'il avait mis un sacré bout de temps à se décider mais qu'il l'avait fait! Bravo fiston!

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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 11 janv. 2024, 09:08

Ce n'est pas un beau texte que je poste ici, mais, poussée par la nécessité d'agir, un que je me suis amusée à écrire.

Passants,
qui passez sur la départementale,
et bifurquez en catastrophe
en raison d'une urgence intestinale,
sur la petite route
qui escalade à travers bois
notre charmant coteau ardéchois,
vous êtes soulagés de pouvoir – enfin !-
trouver rapidement un large virage petit coin
pour y déposer votre crotte.
Soyez en remerciés pour nos animaux sauvages
qui ne manqueront pas d’apprécier ce met nouveau.
Mais sachez que, nous, les habitants du terroir
n’ apprécions pas vos torchoirs,
qui, lancés dans le roncier avoisinant,
le transforment en arbre de Noël
et l’un d’entre nous en pêcheur à la ligne
sans aucune expérience ni vocation.
Aussi, soyez sympas
pour nous et notre précieuse nature,
remballez .
Merci


Plumee Jacotte
pêcheuse à la ligne occasionnelle

plumee
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Re: Textes, beaux textes

Message par plumee » 11 janv. 2024, 09:38

Changement de registre et… d'auteur! Un extrait qui m'a émue.

COLETTE- Renée du Cher
Extrait de « L’étoile vesper »

Sur une femme, postée devant le jardin du Palais-Royal, que Colette voyait depuis sa fenêtre.

« Je m’appelle Renée et je suis du Cher.
Elle devait plaire par un air exceptionnel de santé, car la beauté lui manquait. La jambe bien faite profitait de la jupe très courte.
Aucun maquillage évident ne signalait sa fonction.
Les rares ambulantes du Palais-Royal, amies du crépuscule et des ombres parallèles de la colonnade, semblent faire peu de cas des attraits du visage.
Durant l’année 1942, Renée du Cher disparut.
En 1943, une vieille femme appuyée à la grille me fit un signe furtif et je ne la reconnus pas tout de suite.
- Comment, c’est vous, Madame Renée ?
- Oui, dit-elle. C’est-à-dire que c’est moi, et ce n’est pas moi.
Elle changea de pied, se reposa de travers sur une jambe.
- Je suis été à Munich. Et encore à d’autres endroits. ILS m’avaient ramassée.
Elle parlait bas, tournait de côté et d’autre, avec méfiance, sa nouvelle figure de vieille femme.

- A Munich, oui. D’abord un restaurant où ils m’ont fait servir. Mais ils faisaient exprès de me faire porter tout le temps des plats bouillants,
sortant de sur le feu, des marmites sans rien pour les tenir. Regardez mes doigts, comme des crochets. A peine si je peux coudre, moi que je cousais perlé…
Non, sur le dessus des mains, c’est qu’ils m’ont mise à dévider de la laine, mais là, c’étaient des femmes qui nous commandaient.
Elles disaient que je n’allais pas assez vite et tout ça que vous voyez marqué c’est leurs ongles. Après, j’ai fait de la prison.
Elle changea de pied et parla plus bas.
…Je me sauve, ça sent trop le réséda par ici.
…Je n’ai pas revu la passante de qui le Palais-Royal était la patrie d’élection et qui s’appuyait des deux mains à la grille pour me confier
ce qui lui semblait ne plus pouvoir souffrir de délai :
- Pas un homme n’entre dans ma chambre. Pour ce que j’ai à faire avec les hommes, Paris est assez grand.
Elle se taisait, reprenait :
- Dans ma chambre, j’ai un bocal de poissons rouges. Pour mettre en dessous du bocal, j’ai brodé un napperon rond qui représente des coquelicots.
C’est une vraie féerie.
Un jour, elle dit avec orgueil :
- Un frère que j’ai. Je l’ai élevé toute seule. Avec l’argent que j’ai fait ici. J’ai été bien récompensée, il a épousé une institutrice.
Comme de juste, elle ne sait pas que j’existe. »

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