Pomme

Identifications et fiches pour partager nos savoirs sur la culture d'une plante
Répondre
Marie_May
Administrateur
Messages : 15816
Enregistré le : 01 août 2013, 23:36
Localisation : Nord Aveyron, Gorges du Lot, zone 8A, climat 4

Pomme

Message par Marie_May » 15 oct. 2015, 19:45

Un petit article que j'ai écrit il y a plusieurs années sur les origines de la pomme:

Les Pommiers du Kazakhstan
Actuellement et jusqu'à fin février 2012, l'Inra et les Croqueurs de Pommes ont organisé dans le parc de Bercy, à Paris, une jolie expo agrémentée d'un beau film d'une petite heure qui nous transporte bien loin des grisailles parisiennes, dans la région du Tian Shan, au sud-est du Kazakhstan. C'est là, à la frontière de la Chine, que poussent, depuis l'époque des dinosaures, des forêts entières de pommiers sauvages croulant sous les fruits. Et pas n'importe quels petits fruits médiocres, non, de grosses pommes d'une belle diversité de goûts et de couleurs, dignes de nos étals et autrement plus saines. C'est à se demander si cette région ne serait pas l'Eden de la Bible. En tout cas, les scientifiques sont certains d'avoir trouvé la pomme originelle, mère de toutes les pommes connues de nos jours.
A l'origine, la pomme sauvage était minuscule et amère, mais elle s'est améliorée au cours d'un long périple vers l'ouest, empruntant d'abord la Route de la soie. En revanche, au Kazakhstan, elle a connu une sélection naturelle et imprévue due à ... l'ours du Tian Shan, timide et végétarien, qui se gave de pommes avant d'hiberner. Nul doute que sa gloutonnerie a sélectionné les plus belles, les plus grosses et les plus sucrées. Et que les pépins dispersés dans ses excréments ont eu toutes les chances de germer (ce qui n'est pas le cas des pommes simplement tombées de l'arbre).
Les pommiers kazakhs ont ceci d'extraordinaire qu'ils peuvent atteindre une trentaine de mètres de hauteur. Ces monuments au tronc épais se couvrent littéralement de pommes de tailles et de couleurs très variées - jaunes, vertes, rouges, striées, aux saveurs et au parfums divers - légèrement amère, ou douce et sucrée, ou sucrée et acide à la fois, avec parfois une chair presque rouge. Comme tous les pommiers, ceux-là sont incapables de s'auto-féconder. Chacun d'entre eux est un individu unique, issu de l'alliance des pollens d'arbres différents, transportés par les butineurs. Ce qui a permis cette incroyable diversité naturelle. Jamais traitées, ces pommes, souvent d'apparence superbe, présentent aussi une résistance exceptionnelle aux maladies du verger. D'où l'intérêt que les chercheurs leur portent.
 Photo extraite de Wikipédia  photos d'Hélène Bozzi (je crois)
La pomme du Kazakhstan - Malus sieversii - est ainsi nommée en hommage à l'Allemand Carl Sievers qui la distingue au XVIIIe siècle. Tandis que la découverte des forêts de pommiers, en 1929, est due à un généticien russe, Nicolaï Vavilov, qui fut le premier à s'intéresser à ce patrimoine extraordinaire entourant Alma Aty (capitale du Kazakhstan et qui signifie "lieu des pommes"). Mais le régime soviétique considérait la génétique comme une science bourgeoise qui n'avait pas sa place dans un état communiste. Au diable les pommiers sauvages, place au développement industriel! Staline fit démanteler son laboratoire de Saint-Petersbourg et condamner Vavilov qui termina sa vie en prison.
Mais un autre chercheur prit immédiatement la relève: Aymak Djangaliev (1913-2009), un agronome têtu qui allait consacrer sa vie à la défense du pommier du Kazakstan.
Issu d'une famille décimée par la Révolution, cet orphelin, d'une intelligence remarquable, bénéficia du système d'éducation soviétique et devint ingénieur agronome. Héros de la Seconde Guerre mondiale, il se vit confié des travaux de recherches scientifiques. Mais la déforestation stalinienne le scandalisait. Menacé, trahi, finalement écarté et discrédité par le régime soviétique, il frôla le goulag. Après la chute du Mur de Berlin, et grâce à des échanges entre les USA et l'Europe, il fut rappelé à son poste et reprit avec son équipe ses travaux de conservation de l'espèce. Il aura recréé trois fois son conservatoire, sa pépinière et sa banque de gênes. Jusqu'à sa mort en 2009, il luttera contre la déforestation dévorante qui sévit sur place.
Dans les années 1990, après avoir découvert le gène commun entre Malus sieversii et Malus domestica, une équipe d'Oxford sous la direction de Barry Juniper proclame que Malus sieversii est bien l'ancêtre des pommes cultivées. Une autre équipe scientifique de l'Université de Cornell, près de New York, conduite par Herb Alddwinckle et Phil Forsline, parvient à séquencer son génome. Tandis qu'en France, à Angers, se poursuivent sous la direction de François Laurens, les recherches sur le gêne spécifique qui produit la résistance tout à fait exceptionnelle de Malus sieversii - que toutes les autres pommes ont perdu en se fragilisant au cours de la sélection (rappelons à ce propos qu'il ne reste guère que quelques dizaines de variétés de pommes, alors qu'on en comptait plus de 2000 il y a un siècle).
Ces différents travaux ont donné naissance à la pomme Ariane en France et à la Gala sieversii aux Etats-Unis; deux pommes qui résistent admirablement, et sans traitement, à des maladies comme la tavelure et le feu bactérien - mais pour combien de temps?
Djangaliev quant à lui, a obtenu une trentaine de variétés remarquablement résistantes. De même qu'il a réussi à inscrire Malus sieversii sur la liste des espèces menacées. Malheureusement depuis sa mort, ses travaux n'ont pas été poursuivis et les échanges internationaux sont stoppés. Le problème de la conservation de la forêt kazakhe se pose de façon urgente, car elle a déjà disparu à 70 %. Alors qu'une partie seulement de sa diversité a été recensée.
En dépit des nouvelles plantations d'arbres in situ, entreprises par Djangaliev, et de l'utilisation occidentale de la cryogénie pour conserver des greffons, c'est ce patrimoine exceptionnel qu'il faut tenter de protéger. La pollution intense et la déforestation rampante règnent dans cette région, en dépit des déclarations d'intention officielles. Or les pommiers du Kazakhstan représentent l'espoir d'une arboriculture nouvelle, exempte de maladies comme de pesticides! Espérons que l'expo et le film réalisé par Catherine Peix, Hélène Bozzi et Elisabeth Leciak permettront d'alerter l'opinion à temps pour conserver ce patrimoine génétique unique au monde.

Répondre